ThéâtreL'entrevue éclair avec
Marcelle, on va aller droit au but: c’est toujours un plaisir, ou devrait-on dire une joie de te retrouver saison après saison. C’est que depuis quelques années, ta passion pour les arts vivants, couplée à ton implication dans le milieu culturel – rappelons avec fierté qu’en juin, tu as été nommée membre de l’Ordre du Canada par la gouverneure générale pour tes vingt-trois années de contributions, félicitations! – ont permis à tant de gens de connaître le bien-être et de s’évader de leur quotidien. Tu le dis toi-même, ce qui t’intéresse, «c’est d’agrandir le réel». On est curieux: dis-nous donc ce que tu entends par là!
«Je trouve que le théâtre a cette chose unique à offrir aux spectateur∙rices: celle de décoller du réel l’instant d’un spectacle, de combler les vides laissés par celui-ci, ses insuffisances, sa routine, son aspect si concret.»
«Au théâtre, on se sert de la fiction – il y a toujours de la fiction au théâtre, même dans un théâtre réaliste, même dans une forme abstraite – pour créer un nouvel espace qui n’existait pas en nous. On invente un nouveau monde dans lequel on se dépose, tous et toutes en même temps, pendant les quelques minutes de l’œuvre. Et ces mondes inventés que nous partageons avec nos voisin∙es créent une distance avec nos réels individuels. Que ce soit par empathie pour les personnages, par beauté pour la poésie, par ébranlement face à la dureté de la création, par rêverie proposée par une narration abstraite, il y a toujours un espace entre nous et l’œuvre qui se crée, dans lequel on peut se déposer, se reposer, se réfléchir, se réinventer.»
«C’est ça, pour moi, agrandir le réel par le biais du théâtre: créer, par de la fiction, cet espace intangible, mais bien réel, qui nous permet de mieux appréhender la “vraie” vie après la représentation.»
Tu partages ton temps entre tes diverses occupations comme auteure, metteure en scène, directrice générale et membre du collectif de direction artistique du Théâtre Aux Écuries et du Jamais Lu, un théâtre de quartier vraiment funné et un festival qui met en valeur les paroles théâtrales et qu’on estime du fond du cœur. Dis-nous comment tu arrives à garder le focus et à maintenir ton sourire radieux, alors qu’on le sait pertinemment que c’est difficile de résister avec le contexte économique actuel!
«Oh, la bonne question! Le jeu d’équilibriste est un jeu dangereux! Mais je dirais que ce qui me drive, c’est le sens que je trouve au cœur de tous ces engagements. Je pense aussi que de donner la place à l’autre pour qu’il rayonne est un moteur d’énergie incroyable. Sentir qu’on fait la différence, pour les artistes, pour le public, pour la culture. Ce n’est pas full humble ce que je vous dis (!), mais ce l’est en même temps. Mon énergie vient du fait de mettre les autres en lumière!»
«Mais soyons honnêtes: cet automne avec les réponses de financements insuffisants qui sont tombés pour les quatre prochaines années pour nous, mais aussi pour tout le milieu des arts vivants au Québec, il a fallu retrouver le fil du sens et du courage pour attaquer cette saison-ci.»
«Peut-être qu’en l’occurrence ce désir de ne pas laisser la “petite politique” détruire ce qu’on a mis des années à construire aussi, c’est ça qui donne de l’énergie!»
Qui dit rentrée culturelle, dit vent de renouveau au Théâtre Aux Écuries, ce co-diffuseur implanté dans le quartier Villeray-Parc-Extension-Saint-Michel où sera présenté, une fois de plus, une saison 2024-2025 audacieuse, bouillonnante et haute en couleur, et ce, dès le 22 octobre. D’ailleurs, le public est invité cette année à découvrir des pièces qui font l’usage de diverses méthodes de storytelling afin de créer encore plus de proximité avec le spectateur. Comme le disait Annie Ranger, co-directrice artistique du Théâtre I.N.K. avec qui vous collaborez, «On veut faire une longue balade avec nos spectateurs∙trice∙s, créer une véritable conversation sur plusieurs années». Peux-tu nous en dire plus sur ce procédé qui permet aux compagnies résidentes du TAÉ d’inventer et d’explorer de nouvelles voix en arts de la scène?
«Quand on sélectionne les artistes qui feront partie des programmations au Théâtre Aux Écuries, ils, elles et iels sont en pleine démarche. Iels entre chez nous avec beaucoup de questions et du temps pour mener à bien leur recherche créatrice.»
«Nous les accompagnons sur deux ou trois ans avant la diffusion de leurs œuvres. Ils, elles et iels ont donc le temps de se demander quelle est la meilleure forme pour raconter leur histoire, quel rapport au théâtre ont-iels envie de faire vivre à leur public, comment la forme et le fond de leurs œuvres peuvent-ils vraiment se rejoindre?»
«Cette façon d’entrer en salle de répétition avec plus de questions que de réponses permet à des œuvres originales et hors des sentiers battus d’éclore. C’est vraiment ce type de travail que nous privilégions Aux Écuries.»
Votre saison automnale attirera une fois de plus petits et grands, puisqu’elle s’ouvrira, dès le 22 octobre, sur Avant que la dernière feuille ne tombe, une création du Collectif Feuille déchirée, l’une des compagnies programmées aux côtés de Théâtre de la Pire Espèce, Les Productions Menuentakuan, Théâtre I.N.K., Théâtre des Trompes, Système Kangourou, L’eau du bain et Mille feux. Un public davantage familial appréciera sans doute Les contes zen du potager et Léon le nul, présentés dans le cadre de La Semaine de la Pire Espèce, ainsi que Hit!, une pièce qui puise son inspiration dans l’univers du hip-hop. Parle-nous brièvement de ces joyaux qui défileront sur la scène des Écuries et qui s’adressent davantage à un public familial et de tous âges!
«C’est important pour nous, en tant que théâtre de quartier, d’offrir une offre qui s’adresse à tous les publics.»
«Donc, avec Avant que la dernière feuille ne tombe, toute la famille est invitée à mener une réflexion très douce sur les liens qui nous unissent à nos grands-parents, à leur legs et à leur mémoire qui nous transforment. C’est vraiment un spectacle à voir en famille multigénérationnelle.»
«Pour Les contes du Zen du potager et Léon le nul, c’est le plaisir de l’invention qui nous éblouit à tout âge. Le premier brille par l’utilisation brillante d’une panoplie d’objets qui nous font vivre les contes racontés, et le deuxième par la performance de l’acteur seul en scène – sans aucun décor ni accessoire – qui nous transporte dans différents lieux par la précision de son jeu. Dans les deux cas, c’est impressionnant!»
«Quant à Hit!, tu veux voir ça avec ton ado! Ça nous questionne sur le rapport aux réseaux sociaux, au désir de popularité, aux amitiés virtuelles et aux relations humainement réelles… sans jamais faire la morale, et sur des beats de hip-hop géniaux.»
On est prêt à gager que plusieurs de nos lecteurs et lectrices n’ont même pas idée que le Théâtre Aux Écuries, qui a ouvert ses portes il y a plus de 10 ans déjà, c’est bien plus qu’un lieu enrichissant qui présente des productions multidisciplinaires année après année. Veux-tu nous glisser un mot sur vos activités de médiation culturelle et vos résidences, entre autres, et nous parler de l’incontournable Forfait crinqué, qui va certainement finir par en convaincre plusieurs de s’y rendre… à plus d’une reprise, on l’espère!
«Effectivement, pour nous, le lien de proximité avec les spectateur∙rices est essentiel. Nous voulons un théâtre accessible autant dans la simplicité avec laquelle on y vient, que dans ses tarifs abordables pour tous.»
«On a mis sur pied un très beau projet qui s’appelle Les bons voisinages et qui permet à une vingtaine de voisin∙es d’Aux Écuries de voir l’envers de la création, et ce, toute l’année! Aussi, Marie-Hélène Chaussé, responsable du développement des publics et de la médiation au TAÉ, mène également le Commando Zine, qui fédère une cohorte d’ados autour des œuvres présentées et qui créeront un petit magazine sur leurs découvertes en fin d’année.»
«Et finalement, le Forfait crinqué! C’est simple, à l’achat de trois spectacles et plus, tes billets te coûtent seulement 22 $! C’est vraiment très accessible pour venir toute l’année au théâtre. L’offre se termine le 15 octobre par contre… il faut faire vite!»
«Mais sinon, durant toute l’année, il y a aussi notre Vendredi-dis-ton-prix, qui permet à tout le monde de payer ce qu’il veut/peut pour venir au théâtre. Je vous le disais: l’accessibilité, c’est sérieux au Théâtre Aux Écuries!»