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Crédit photo : Nicola-Frank Vachon
Du désarroi d’en perdre la tête
En fait, la création de Jean-François F. Lessard se déploie à la manière d’un collage de deux textes de Larry Tremblay. D’abord, il y a Le déclic du destin, puis Le problème avec moi.
Dans le premier des deux textes, Léo perd une dent en dégustant un éclair au chocolat. Il perd ensuite sa langue, puis son index et enfin son cerveau. Pour sa part, Le problème avec moi se déroule après Le déclic du destin. On y observe le même Léo qui rencontre quelqu’un qui lui ressemble à s’y méprendre. Les deux partagent une passion pour le film culte Psycho d’Alfred Hitchcock.
Or, ce dédoublement de Léo mène ce dernier à vivre lui-même une sorte de psychose où il croise sans cesse des sosies de lui-même.
Comment parler lorsqu’on perd sa langue?
À partir de cette explication du synopsis, j’imagine déjà une première question que vous pourriez avoir envie de me poser: «Mais Guy-Philippe, si Léo perd sa langue, comment fait-il pour dire tous ses soliloques?» La réponse est simple: le personnage principal se dédouble.
Hubert Bolduc (Sortie de route) et Mathieu Bérubé-Lemay (Matéo et la suite du monde) interprètent Léo dans Le déclic du destin. La chimie entre ces deux acteurs est, par ailleurs, particulièrement bien réussie. Le duo exerce un jeu physique qui souligne tout l’humour kafkaïen du texte et la multiplicité des identités de Léo.
Pour sa part, Le problème avec moi finit de quintupler le personnage principal avec Paul Fruteau de Laclos (Pour la suite du monde), Geneviève Breton (Usine) et Jean-François Plante (Hiéroglyphe).
Quand une seule peau ne suffit plus
D’un point de vue technique, j’avoue que je suis resté sur ma faim. Cela dit, je tiens à préciser: la pièce n’en devenait pas inintéressante ou mal faite pour autant. C’est simplement que les deux dernières productions professionnelles précédentes d’Entr’Actes (Matéo et la suite du monde et Jusqu’à maintenant) avaient mis la barre haute et m’en avaient mis plein la vue, grâce à leurs choix d’agencement entre la scénographie et la dramaturgie de leurs histoires.
Pour Le problème avec moi, la conception lumière de Denis Guérette et la trame sonore de Stéphane Caron servaient surtout à soutenir les acteurs et l’élocution du texte. Et ils ont fait un bon travail. Je comprends que cette façon de faire laisse toute la place à l’acteur. J’ai juste trouvé qu’il manquait ce petit plus pour atteindre le plein potentiel de cette compagnie théâtrale.
Je me souviens, le texte de Matéo et la suite du monde était inspiré de deux albums de musique carrément éclatés, The Lamb Lies Down on Broadway de Genesis et The Wall de Pink Floyd. Jusqu’à maintenant faisait montre d’une scénographique qui s’imbriquait à travers une esthétique de bande dessinée de superhéros. De grandes structures évoquaient les cases des bandes dessinées et, vraiment, c’était très impressionnant à voir!
Revenons à nos moutons: au niveau scénographique, Jean-François F. Lessard s’est doté de la talentueuse Dominique Giguère, conceptrice du décor. Elle a su apporter une contribution à la fois onirique et stimulante à cette création. Sa scénographie met bien en relief les combats mentaux des Léo. En effet, dès le début du Déclic du destin, on voit, sur scène, un lit vide et des étagères. Le Léo d’Hubert arrive en premier pour placer l’action de la pièce. Il est suivi rapidement par celui joué par Mathieu, lequel est caché sous quatre draps de lit. Ceux-ci couvrent les deux personnages à divers moments du premier volet.
Dans un certain sens, elles les préservaient de la perte de son corps. Le motif du drap devient ainsi une sorte de protection pour Léo qui cherche à défendre sa tête en mettant de plus en plus d’enveloppes physiques.
D’un autre côté, la deuxième pièce, Le problème avec moi, fait sortir Léo de tous ces draps. Un changement de scène évoque qu’en arrière de la chambre se trouvait un extérieur; il y avait un parc. C’est là qu’Hubert rencontre Mathieu pour discuter de Psycho. Ensemble, ils se remémorent des scènes du film et ne cessent de louanger les prouesses scéniques de ce chef-d’œuvre.
Les enveloppes corporelles (les rideaux de scène, en l’occurrence) sont ouvertes pour dévoiler les méandres de l’esprit de Léo.
Mettons-en plus de corps perdus !
En bref, cette pièce vaut certainement la peine d’être vue. Bien que la conception technique soit là principalement en guise de soutien, le travail des acteurs, ainsi que les textes hypnotiques de Larry Tremblay, permettent de garder l’attention du public jusqu’à la toute fin.
C’est un spectacle aux limites de l’absurde qui tient bien debout et qui saura intéresser les adeptes de Psycho d’Hitchcock avec ses référents immiscés çà et là!
La pièce «Le problème avec moi» en images
Par Nicola-Frank Vachon
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