ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Jean-François Gratton, une communication compagnie et cie
Contradictoires, nos voisins américains?
Ce que Larry Tremblay appelle la «schizophrénie de l’Amérique», c’est cette dichotomie permanente qu’entretiennent nos voisins américains et dont il s’est inspiré pour tisser le fil conducteur de sa trame narrative. «Le blanc/le noir, le républicain/le démocrate, le gros/le petit, le tragique/le comique, le masochiste/le sadique, tous ces systèmes d’opposition m’ont guidé pour écrire la pièce», explique l’auteur de ce spectacle initialement créé il y a 15 ans pour être présenté à l’ESPACE GO par la compagnie Le PàP, dans une mise en scène de Claude Poissant.
«Mais la pièce reste ludique! C’est simplement dans le soubassement de l’écriture que j’ai installé ce système, car il rend la pièce très théâtrale et efficace au niveau de la représentation sur scène.»
La thématique lui est en fait venue à Washington lorsqu’il visitait le Ford’s Theatre où John Wilkes Booth, un acteur de 26 ans, a crument assassiné Abraham Lincoln en 1865 en lui tirant dessus avec un Derringer au beau milieu d’une représentation. «Ça m’a grandement inspiré», nous confie-t-il. «J’ai ramassé tous les journaux de l’époque – des fac-similés – sans savoir ce que j’en ferais, mais c’est comme ça que m’est venue l’idée de parler de l’Amérique à travers l’un de ses présidents les plus connus.»
Par ailleurs, le fait que le crime ait été commis par un acteur au sein même d’un théâtre lui a donné l’idée «qu’un metteur en scène actuel du nom de Marc Killman décide de parler de l’Amérique, de cette dissension, de ce fossé, de cet écart [qu’il a] appelé la schizophrénie de l’Amérique.»
«Là, un autre focus apparaît et montre comment on monte un spectacle et ce qui peut arriver de conflictuel, de tension dramatique et de tension psychologique lors d’une représentation: c’est donc aussi une pièce sur ce qu’est le théâtre!» – Larry Tremblay, dramaturge.
Une pièce créée avec un temps d’avance
Fait notable, lorsque Lorraine Pintal a demandé à Larry Tremblay de lui suggérer l’un de ses textes, c’est Abraham Lincoln va au théâtre qu’il a souhaité présenter. Il trouvait en effet que la pièce de 2008 faisait tout particulièrement écho à ce qui se passait actuellement autour de nous, surtout chez nos voisins américains.
«On parle de l’Amérique, de l’âme humaine et de l’assassinat d’un président par un acteur», indique Larry Tremblay. «Depuis que Trump a pris le pouvoir il y a quelques années, le fossé s’est agrandi, et je crois que ma pièce va beaucoup plus résonner politiquement – même si ce n’est pas du tout le but de la pièce, mais on ne peut pas empêcher les mots de faire écho avec l’actualité du moment.»
Selon lui, la situation a empiré et la schizophrénie s’est ainsi révélée dans toute sa splendeur. «C’était déjà là avant, mais des événements comme l’insurrection du capitole ont fait en sorte que ça s’est cristallisé. Les Américains ont en eux cette dissension profonde qui traverse toute leur histoire – comme l’esclavagisme –; ça fait partie de leur code génétique.»
Démêler le vrai du faux, le défi de notre société
«Quelle est notre réalité actuellement? C’est très dur de la cerner, étant donné la désinformation et les propagandes qui circulent partout sur les réseaux sociaux. Le théâtre est un espace intéressant pour y réfléchir… et s’y amuser, bien sûr.»
Comme nous l’avons mentionné plus haut, la pièce de Larry Tremblay est riche en péripéties. Si l’histoire parait plutôt simple à saisir au premier abord, la frontière entre fiction et réalité s’avère être un peu plus difficile à tracer pour le spectateur à mesure que le spectacle avance.
«C’est pour pousser à la réflexion – et je pense aussi que la mise en scène va jouer là-dessus –, parce qu’on est dans une époque que j’appelle post-factuelle ou post-vérité: celle-ci n’a plus de sens, plus de poids», observe-t-il. «Aujourd’hui, la vérité n’intéresse plus personne, ce qui fait que j’ai ajouté une couche de plus à la dichotomie gros/petit, noir/blanc, etc.: il y a aussi vrai/faux, maintenant.»