ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Singulier Pluriel
DESEO, vous l’aurez compris, signifie «désir» en espagnol. C’est la langue maternelle de Ximena Ferrer, originaire d’Uruguay. L’actrice et créatrice réside au Québec depuis de nombreuses années: «Je me suis installée au Québec par amour. J’ai rencontré mon mari, Martin, il y a dix-sept ans en Uruguay et je l’ai suivi à La Pocatière, d’où il est originaire. On a ensuite vécu durant sept ans en Argentine avant de revenir ici», raconte-t-elle.
C’est d’ailleurs en Argentine qu’elle croise le chemin de Julie Vincent, avec qui elle codirige leur compagnie Singulier Pluriel. Entre elles, un lien très fort s’est tout de suite établi: «Julie a été ma guide à travers la culture et la société québécoise. Comme elle connaissait déjà très bien ma culture, je n’avais pas besoin de lui expliquer quoi que ce soit. Nous avions une vision commune pour la compagnie, et ce, dès le début. Tout le trajet qu’on a fait ensemble a été très organique. On voulait que nos deux cultures se mêlent, se contaminent.»
Si les deux femmes sont codirectrices de la compagnie, c’est plutôt Julie Vincent qui se trouve d’ordinaire à la mise en scène, tandis que Ximena Ferrer, elle, joue. Or, voilà que les rôles sont inversés, c’est donc pourquoi DESEO s’avère une création très personnelle pour Ximena Ferrer: «Cette fois-ci, j’avais un désir très fort de mettre en avant mes propres couleurs, de réunir mon éducation d’Amérique latine et tout ce que j’ai acquis ici. Ce projet vit en moi depuis quatre ans. Pour moi, c’est une prise de parole, c’est parvenir à mettre ma force davantage en valeur en dirigeant une équipe et une mise en scène à ma façon. J’ai toujours été comédienne, à la base, alors c’est un nouveau territoire à explorer», explique-t-elle.
«DESEO, c’est la chair, c’est la femme. Dans ce spectacle, on raconte quatre histoires, chacune très différente les unes des autres, et à travers lesquelles on parle de l’éros, de la féminité, du désir, du désespoir et de l’amour.» – Ximena Ferrer
Penser le théâtre différemment
Pour cette toute première création, Ximena Ferrer a choisi d’innover avec une formule différente où les spectateurs ne seront pas simplement assis devant une scène, mais évolueront à travers différentes pièces, chacune présentant l’une des quatre histoires. «Le public sera très proche des actrices, et on ne peut rentrer que 15 spectateurs à la fois dans chaque pièce. C’est comme si les spectateurs regardaient à travers un œil de bœuf et épiaient l’intérieur d’une maison», explique la créatrice.
En outre, chaque spectacle ne durera que 15 minutes: «Je me suis inspirée du microteatro, proposition de l’Espagne qui a envahi toute l’Amérique latine. Ce qu’il y a de spécial avec ces récits très courts, c’est qu’on ne peut pas y élaborer une courbe émotionnelle équilibrée, qui croît de manière logique, calculée. Ici, c’est comme un shooter de théâtre. Toutes les émotions sont livrées à la puissance onze, sur une échelle de dix. Le spectateur n’aura pas le temps de réfléchir, seulement de ressentir», dit Ximena Ferrer.
Cinq femmes, quatre histoires
Cette manière originale de procéder représente beaucoup de travail, puisque Ximena Ferrer a dû concevoir quatre mises en scène, plutôt qu’une seule. Elle nous les raconte brièvement, sans trop en révéler: «Il y a d’abord une jeune femme de 28 ans qui a pris la décision de s’enfermer dans sa chambre pour retrouver son éros et tuer la petite fille en elle qui ne la laisse pas vivre sa sexualité. C’est une scène très intime sur l’intériorité d’une jeune fille.»
«Puis, salon double, avec deux anciennes comédiennes retraitées de la société et qui font un numéro de strip-tease à chaque soir: elles sont en train de s’habiller pour ce numéro qui ne va en fait jamais se produire, puis beaucoup de paroles se mettent à circuler entre elles, des secrets, une histoire se révèle qui nous raconte les deux sœurs», poursuit-elle.
«Nous retrouvons ensuite une metteuse en scène qui nous explique ce qu’est le théâtre et pourquoi il n’est pas capable de soutenir la réalité, qu’est-ce qu’une perversion et pourquoi nous sommes incapables de nommer ce qui nous excite et ce qui ne nous excite pas, ce qui est tabou.»
«Enfin, tout le monde se rejoint au salon pour une dernière représentation, où toutes les histoires vont se rejoindre et prendre sens dans une explosion d’intensité et d’émotions», termine-t-elle.
«Ces quatre histoires en simultané sont chacune des petits crescendos de folie et d’intensité féroce.» – Ximena Ferrer
Faire place au corps
Le désir est au centre de l’œuvre de Ximena Ferrer, ainsi que son véhicule: le corps. C’est ce dernier que la créatrice voulait mettre en valeur avant tout: «Je souhaitais aller à la racine pure du théâtre, soit la force des corps des comédiens. Moi, quand je vais au théâtre, j’aime voir les comédiens derrière les personnages, la manière dont ils transforment leurs voix, leur posture, je trouve cela fascinant», dévoile-t-elle.
«La manière que j’ai de travailler et cette proposition de mettre en valeur le jeu d’acteur vient beaucoup de ce que j’ai appris de mes enseignants en Amérique latine, d’une façon plus corporelle de jouer. Des fois, dans des festivals de théâtre, on voit des troupes qui viennent d’Argentine, du Brésil: ils ont une autre façon de s’exprimer avec leur corps, et nous sommes fascinés. C’est ce que j’ai voulu reproduire avec DESEO», conclut Ximena Ferrer.