«Des arbres» de Duncan Macmillan à La Petite Licorne – Bible urbaine

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«Des arbres» de Duncan Macmillan à La Petite Licorne

«Des arbres» de Duncan Macmillan à La Petite Licorne

«Avoir ou ne pas avoir d’enfant?», telle est la question!

Publié le 11 mars 2016 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Suzane O'Neill

Les gens ont-ils des enfants parce que c’est dans l’ordre des choses? S’ils se posaient vraiment la question et réfléchissaient à l’impact d’un enfant sur leur vie, sur LA vie, l’environnement, la société, l’économie… se reproduiraient-ils? C’est de cette réflexion ignoble mais fondamentale qu’est parti l’auteur anglais Duncan Macmillan pour écrire Lungs, devenue Des arbres dans sa traduction française par Benjamin Pradet. Dans une mise en scène de Benoît Vermeulen, la pièce est présentée ces jours-ci, à La Petite Licorne jusqu’au 15 avril, avant une série de 10 supplémentaires déjà annoncées, tant le succès de cette production est évident.

Reflet de toute une génération, Des arbres pose de vraies questions, même si le ton est plutôt comique au début, parce que les deux personnages sont presque trop honnêtes l’un envers l’autre, et parce qu’ils vont tellement loin dans leur anxiété que ça en devient quasiment ridicule.

Est-ce qu’une personne éduquée devrait ne pas faire d’enfant, car elle serait plus consciente de l’empreinte écologique que laisse un humain au cours de sa vie; parce qu’elle penserait davantage au monde en déclin dans lequel elle laisserait grandir un enfant, ce qui est un véritable cadeau empoisonné pour sa progéniture? Ou au contraire, devrait-elle se reproduire pour empêcher que seuls les ignorants continuent de peupler la Terre et que le monde coure plus rapidement encore vers sa perte? Planter des arbres pour aider à faire respirer la planète est-il suffisant pour racheter les milliers de tonnes de CO2 de pollution générés par un être humain de plus qui vit?

Tant de questionnements, d’angoisses, d’inquiétudes, de désirs, de peurs et d’appréhensions nous sont balancés au visage dès les premières minutes de la pièce, dans un feu roulant, un débit rapide, qu’on a presque l’impression d’avoir fait le tour en quinze minutes…et pourtant, il y en a toujours plus, d’autres encore; les angoisses concernant la décision de mettre au monde un enfant semblent infinies.

Pour ce couple dans la trentaine, qui a eu le malheur d’aborder le sujet en file à la caisse du IKEA, du moins. Mais ce qui est génial dans le texte de Duncan Macmillan, c’est que malgré les apparences, il ne saura pas rejoindre uniquement la conscientisée génération Y, mais bien, à sa façon, un peu tout le monde. En traversant les années, grâce à un procédé de mise en scène ingénieux qui fait des sauts temporels perceptibles uniquement grâce à une parole bien placée qui nous éclaire et sans autre indication que ce soit, dans une fluidité impressionnante, le couple vit devant les spectateurs toutes les étapes de la parentalité, jusqu’à leur propre fin de vie. De l’idée même d’avoir un enfant jusqu’à la relation entre un enfant adulte et un parent vieillissant, en passant par l’apprentissage de toutes les petites joies quotidiennes lorsqu’un enfant grandit et apprend la vie, toutes les phases sont mentionnées, et donc n’importe qui qui penserait à devenir parent, qui en est un ou qui en a été un, peut se reconnaître à un moment ou à un autre dans ce couple interprété par Sophie Cadieux et Maxime Denommée.

En femme terrassée par ces pensées qui se bousculent et ne se taisent jamais, Cadieux est épatante et on dirait presque que le rôle a été écrit pour elle, tant elle manie les mots et l’anxiété avec aisance. Elle qui vient de devenir maman, on espère qu’elle n’est pas passée par un processus aussi intense, car «quand on y pense trop, on ne le fait pas», nous dit le personnage de Denommée, d’abord confiant, mais qui se laissera gagner lui aussi par les angoisses. Si Cadieux est celle qu’il fallait pour incarner cette femme intense et agitée, Maxime Denommée est certainement celui qu’il fallait pour jouer à ses côtés.

Après avoir été un couple à la télévision dans Rumeurs puis au cinéma dans Jaloux, les deux comédiens font preuve d’une grande complicité qui est perceptible et qui sert bien à ce récit où la tendresse est très présente, malgré les tensions évidentes et les 1001 questionnements qui nous assaillent et nous suivent jusqu’à la sortie du Théâtre La Licorne. On a tout de même envie de consoler, d’épauler et d’encourager ce couple touchant, qui veut tellement faire la bonne chose, qui veut tellement être «de bonnes personnes».

Si les deux comédiens réussissent autant à briller, il va de soi que c’est parce que la partition qu’ils jouent leur sied bien, mais aussi parce que la traduction de Benjamin Pradet est tout simplement parfaite, du fait qu’on ne la remarque pas. Les mots coulent avec une fluidité impressionnante, les expressions sont bien de chez nous – quelques sacres, au passage, mais qui s’insèrent à merveille dans le flot d’inquiétudes – on aurait dit que le texte était le leur, que ces discussions étaient les leurs, ce qui joue pour beaucoup dans la réussite de cette pièce.

Alors que le «bébé» est le centre de tout ce récit, il est toutefois très peu désigné: on dit beaucoup sans nommer, dans Des arbres, sans aller au bout des mots, des pensées. Et pourtant, tout est compréhensible. On est au même diapason qu’eux, on se reconnaît facilement, et on pourrait presque terminer leurs phrases, s’ils ne le faisaient pas si bien eux-mêmes et de façon si limpide. Cela va sans doute avec la mise en scène dépouillée de Benoît Vermeulen, qui offre une scène vide, même si l’espace scénique est néanmoins très bien utilisé, parce que tout ce qui importe au fond, ce sont les paroles échangées – aussi incomplètes soient-elles par moments –, et la beauté de cette relation complexe qui se déploie si simplement sous nos yeux, entre cette femme et cet homme, mais aussi entre ce couple et cet enfant à venir, qui sera certainement, malgré toutes les réticences initiales, très choyé d’avoir d’aussi bons parents.

Des arbres est un texte de Duncan Macmillan, traduit par Benjamin Pradet et mis en scène par Benoît Vermeulen. La pièce est présentée à la Petite Licorne jusqu’au 15 avril avec des supplémentaires du 20 au 30 avril 2016.

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Par Suzane O'Neill

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