ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Eva-Maude TC
Si le spectacle traite d’un sujet en apparence grave et bouleversant, le ton est bien au contraire plus souvent humoristique et léger. Bien sûr, l’annonce tragique de la maladie et de ses multiples symptômes dégénérescents, pour un homme qui a toujours été en contrôle de sa vie, avocat et procureur de la Couronne de surcroît, laisse planer une fatalité misérable.
La voix off du médecin nous déballe la longue liste des symptômes ramenant l’actrice à une réalité éprouvante. Réalité qu’elle préfère balayer et enterrer sous les airs exaltants du groupe ABBA.
Une mise en scène éblouissante
Marie-Ève Perron signe ici une mise en scène stimulante ponctuée de musiques (dont «Chiquitita» d’ABBA, Cat Stevens, etc.), des voix off des différents intervenants rencontrés après la mort de son père, et des incursions à travers sa carrière d’actrice. On la suit en effet lors d’une tournée théâtrale dans la Ville de Nancy, en France, puis à la première médiatique du film Arrival de Denis Villeneuve. Oui, oui, tout ça en 1 h 25 de spectacle!
La combinaison des éclairages de Martin Sirois et la conception sonore d’Alexander MacSween est tout simplement fabuleuse. Je pense notamment à une scène au cours de laquelle plusieurs ambiances sonores se superposent comme autant de moments décisifs dans la vie de l’actrice. Simultanément, nous sommes à l’aéroport de Montréal et à la première médiatique mondiale d’un festival de cinéma cossu où le bruit assourdissant des kodaks se mêle à la voix de Lucie Banks (Amy Adams).
Marie-Ève Perron trace ainsi le parallèle avec le passage du temps, le moment présent et les «possibles, les choix à faire», des concepts épars entre sa réalité et le film de Villeneuve.
Elle fait également des retours constants à cette Nancy, spécialiste en arrangements funéraires, qui «sort l’attirail» de signets, d’urnes, de pierres tombales et de cercueils. Ces informations chaotiques, presque abrutissantes, forgées par un capitalisme mortuaire que l’actrice dénonce sans gêne.
Quant aux éclairages de Martin Sirois, les multiples projecteurs sont autant de phares scintillants évoquant le passage du temps qui s’amalgament tantôt aux rythmes effrénés de la musique, tantôt à l’univers poétique du texte.
Des ambiances parfois chaudes bercent les souvenirs de Marie-Ève Perron, alors que les tons froids et glacials rappellent la fatalité.
Un aspect documentaire fort intéressant
Pour comprendre les étapes de son deuil, l’actrice et auteure s’est référée à Luce Des Aulniers, docteure d’État en anthropologie et fondatrice du champ des études interdisciplinaires sur la mort. Bon, je vous épargne tous les titres de cette experte en deuil fort intéressante, car la liste est longue! Sachez seulement que ses interventions amènent une profondeur à la pièce. Elle nous fait réfléchir sur le sens de la vie, sur la conscience de soi et sur l’ambivalence affective.
En tant que spectateur, on sort grandi de cette expérience théâtrale. On en vient à remettre en question notre propre rapport à la mort et à cette peur de perdre nos socles parentaux. On réfléchit aussi aux valeurs qu’ils nous ont inculquées. On s’imagine peut-être même l’hommage qu’on leur rendra un jour…
Une auteure prolifique, une actrice désarmante
Marie-Ève Perron, dans De ta force de vivre, est tout simplement renversante. Bien que les passages où elle danse soient trop nombreux et trop redondants à mon avis, je n’ai rien à lui reprocher.
Son sens de l’autodérision et ses sacres lui procurent un aplomb, à savoir une carapace pour se préserver de ses sentiments contradictoires qui la perturbent, de cette colère contenue qui ne demande qu’à jaillir. Elle sait doser l’humour et le drame, passer de l’un à l’autre avec une candeur, une sincérité et une vulnérabilité déconcertantes.
Vraiment, cette actrice, découverte dans la série Les Simone pour ma part, parvient toujours à percer ma propre carapace et à me soutirer une larme!
Un texte qui mérite d’être publié
En somme, j’espère sincèrement que le texte De ta force de vivre sera publié et disponible aux lecteurs à l’instar de ses deux précédents solos, Marion fait maison et Gars, tous deux publiés aux Éditions Lansman. Il pourrait être un merveilleux outil de compréhension du deuil, sans être moraliste ou à saveur psycho-pop.
Mais au-delà de la référence, ce texte foisonnant de répliques mordantes, de poésie et de profondeur, est un baume pour l’âme et le coeur.
L'avis
de la rédaction