ThéâtreDans la peau de
Crédit photo : Julie Artacho
Antonia, comme on se retrouve! Ça fait plaisir. Tu te rappelles, la dernière fois qu’on a échangé avec toi, c’était en mai 2019, car tu te préparais, le mois d’après, à fouler la scène du Black Theatre Workshop afin de présenter A Brief History of Time («Une brève histoire du temps») au Festival St-Ambroise Fringe! Et alors, quoi de neuf depuis, à part qu’on a vécu une pandémie?
«Certainement que je m’en rappelle! Depuis, il s’est passé pas mal de choses avec le Théâtre du Renard! Notamment la naissance d’une nouvelle passion (ma famille dirait “obsession”!) pour la nature autour de moi, que j’ai redécouverte pendant la pandémie. Ça a mené à la production du balado Enracinés – Récits de nature, qui s’est mérité un prix pour le meilleur projet alliant art et transition socioécologique en 2023!»
«Mais je ne délaisse pas la scène pour autant! En 2021, j’ai eu la chance d’obtenir une résidence de création au Théâtre Aux Écuries pour créer et produire un nouveau spectacle, cette fois inspiré de la rencontre entre théâtre d’objets et physique quantique! J’ai bien hâte de vous présenter le résultat de nos recherches!»
Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas encore – on va y remédier, t’inquiète! – tu es la directrice générale et artistique de la compagnie Théâtre du Renard, et ce qui t’allume dans ton quotidien, c’est le théâtre d’objets, ainsi que la création transdisciplinaire. Et en plus, tu sembles t’être toujours intéressée à cette frontière qui relie l’art et la science, deux disciplines qui vont bien ensemble selon toi. Dis-nous, qu’est-ce qui t’attire dans ce style de théâtre plus exploratoire, plus scientifique?
«J’ai toujours été très curieuse. À peu près tout dans le monde m’intéresse… sauf peut-être le hockey! ;)»
«J’ai fondé le Théâtre du Renard, parce que j’avais envie de partager certaines des grandes idées que j’ai rencontrées et qui ont totalement chamboulé ma vision du monde. La science, comme l’art, c’est une manière de raconter le monde pour lui donner un sens.»
«Je trouve que le théâtre d’objets se prête particulièrement pour parler d’idées complexes ou abstraites. Avec l’objet, on crée des images qui permettent de rendre tangibles ce qui nous dépasse: on peut prendre l’Univers dans sa main, rendre visible l’infiniment petit, déchirer l’espace-temps en deux… tout est possible! J’aime le côté ludique, qui aide à dédramatiser des sujets qui peuvent faire peur, quand on a (comme moi) lâché la science dès le secondaire.»
«Mais ce que j’aime le plus à travers cette démarche, c’est que c’est un terrain de jeu infini! Le savoir, les grandes idées, c’est tellement vaste que je ne manquerai jamais d’histoires à raconter!»
Ce n’est pas anodin si on a la chance de te jaser aujourd’hui, car du 18 au 27 janvier, le Théâtre Aux Écuries accueillera ta plus récente création théâtrale, La rébellion du minuscule, «un spectacle jubilatoire qui convie avec humour et poésie visuelle le public à un voyage vers l’infiniment petit». Parle-nous donc de cette odyssée singulière qui attend nos lecteurs et lectrices! Ça pique notre curiosité, on l’avoue!
«Dans La rébellion du minuscule, on cherche à faire comprendre à tous les bases de la physique quantique, c’est-à-dire la science qui étudie l’infiniment petit: l’intérieur des atomes qui forment tout ce qui existe.»
«La physique quantique existe depuis un siècle, mais elle a la réputation d’être incompréhensible, ce qui n’est pas tout à fait justifié, selon moi. En fait, la physique quantique propose des idées qui vont tellement à l’encontre de notre perception quotidienne du monde qu’elle est très difficile à visualiser, ou à décrire avec nos mots habituels.»
«Avec ce spectacle, on veut allumer la curiosité du public avec des idées qu’on a tendance à réserver aux experts, et montrer que la science est accessible à tous. Par ailleurs, on reste des artistes, et notre spectacle n’est pas un cours ni une conférence: c’est avant tout une œuvre artistique qui cherche à raconter le monde quantique, comme d’autres artistes racontent leurs origines ou leurs souvenirs de famille! :)»
Avec La rébellion du minuscule, on peut dire que tu as su bien t’entourer: tu partageras la scène avec Karine St-Arnaud, c’est Évelyne Laniel qui signe la mise en scène, et Olivier Ducas, l’une des têtes pensantes du Théâtre de la Pire Espèce, a assuré l’accompagnement artistique de ce spectacle. On se demande: comment avez-vous réussi, avec cette proposition, à faire en sorte d’intéresser autant les esprits rationnels que les esprits plus artistiques?
«C’est intéressant, parce que, dans l’équipe, on a autant des passionnés de science, comme Nicolas Letartre-Bersianik, qui signe la musique, que des gens qui n’avaient jamais entendu le mot «subatomique » avant d’embarquer dans le projet!»
«Ce qui nous a particulièrement allumés dans la recherche, c’est de découvrir que la physique quantique est née au même moment qu’un autre courant de pensée qui a redéfini notre vision de la réalité: l’art abstrait. Pendant qu’Albert Einstein, Niels Bohr et plusieurs autres scientifiques étudiaient les étrangetés de l’infiniment petit, des artistes comme Mondrian, Dalí et Duchamp ont inventé le cubisme, le dada et le minimalisme.»
«Les deux, artistes comme scientifiques, présentent des visions du monde vraiment différentes de ce qu’on voit autour de nous au quotidien. Et le plus fou, c’est qu’ils ne se sont jamais rencontrés!»
«On a donc décidé d’imaginer un spectacle qui se déroule dans un musée. Chaque “œuvre d’art quantique” est inspirée d’un principe de la physique quantique. Ça permet de combiner la beauté des idées scientifiques à la beauté des images qu’on crée avec les objets, et de stimuler autant la fibre sensible que les neurones du public!»
Et finalement, d’après toi, quelles émotions ressentiront les spectateurs et spectatrices durant ce voyage réjouissant, entre l’art et la physique quantique, auquel tu les convies très prochainement?
«Selon moi, la physique quantique peut se résumer en six lettres (pardonnez les anglicismes ;)): WOW et WTF!»
«Les lois quantiques sont aussi belles qu’elles sont déstabilisantes. À travers ce spectacle, on travaille à partir de matière et d’objets plutôt abstraits, comme des cadres et des écrans en plexiglas. À l’aide de jeux de lumière et de manipulations, on arrive à créer des effets vraiment surprenants et puissants, notamment grâce au travail de notre conceptrice lumière Mélanie Whissell, qui est sur scène avec nous.»
«On pense que le vertige esthétique qu’on ressent parfois devant une œuvre d’art a quelque chose à voir avec le vertige de la découverte scientifique. La poésie de l’image en théâtre d’objets permet au public de vivre ce qu’ont vécu les physiciens d’il y a un siècle en découvrant que notre monde est vraiment aussi étrange que ça.»
«Parce que, désolée de vous l’apprendre, mais notre monde est beaucoup, beaucoup plus étrange qu’on le pense!»