ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Stéphane Bourgeois
D’entrée de jeu, je tiens à préciser que mon baptême de Ce qu’on respire sur Tatouine a eu lieu avec la version audio interprétée par Marc-André Grondin et Catherine Brunet, qui y incarnaient alors les personnages principaux, soit le narrateur et Amidala.
Ayant été subjuguée par le livre audio, j’avais peur, lors de la représentation au Théâtre La Licorne, de continuellement m’y référer durant le spectacle, boudant ainsi mon plaisir devant l’adaptation théâtrale qui se jouait devant mes yeux.
Mais au contraire, l’acteur Marc-Antoine Marceau a livré une performance pour le moins surprenante, notamment parce qu’il est littéralement enseveli dans une montagne de sable!
Dès notre entrée en salle, on peut d’ores et déjà l’apercevoir sur scène, submergé jusqu’à la taille, puis jusqu’aux genoux au cours de la pièce.
Un décor digne de Star Wars
La scénographie, conçue par Élène Pearson, évoque la planète Tatouine dans Star Wars. Fan fini de la saga, le personnage semble ainsi entrevoir la vie et les gens à travers un hublot. Il visualise sa chambre sur la planète Dagobah; son proprio, Normand, serait en réalité Yoda; il s’amourache de sa douce collègue qu’il surnomme Amidala; et il compare le boucher acrimonieux du Super C à un strooper… bref, autant de référents qui font sourire durant le spectacle.
Et ces derniers symbolisent ce monde parallèle dans lequel le personnage se réfugie. Des moments introspectifs qui sont brillamment illustrés par les transitions sonores d’Olivier Forest et les éclairages de Keven Dubois, lesquels sont dignes d’un sabre laser.
Le décor pourrait également être une représentation du carcan dans lequel le personnage se complait. En effet, l’acteur y est d’ailleurs coincé, voire enlisé, jonglant avec des changements de costumes dont les morceaux de vêtements sont dispersés ici et là sur sa butte de sable.
Un antihéros fort attachant
Marc-Antoine Marceau est pour le moins convaincant dans son rôle de «grand tata de 31 ans» paumé, habitant un sous-sol de Repentigny et travaillant comme commis de plancher dans un Super C. Autant il nous rebute à l’évocation de ses sécrétions et de ses crachats de sang causés par sa fibrose kystique, autant sa candeur et sa simplicité finissent par nous attendrir.
«Chaque fois qu’une femme me sourit, je tombe amoureux. Je suis de même. Je m’invente des histoires, des maisons, des bébés. Je suis lourd.»
C’est l’antihéros parfait: il est doté d’un physique qu’il dénigre lui-même; est dépourvu d’habitudes saines de vie; il se gave de junk food et de bières.
Mais, lueur d’espoir, il pose un regard empathique, sensible et poétique sur les infinis détails du quotidien. Et c’est d’ailleurs ce qui le rend si attachant.
Un texte puissant avant tout
Les mots de Jean-Christophe Réhel transcendent l’infiniment ordinaire d’un personnage un peu loser qui accumule les jobines insipides et les amourettes éphémères.
Ce qu’on respire sur Tatouine, c’est une œuvre qui aborde la maladie, la solitude et les petites douleurs de la vie dans lesquelles on se reconnait. C’est un texte sensible et touchant ponctué de métaphores et de comparaisons loufoques:
«Je respire pas dans une paille, je suis une paille […] Je suis une paille qui veut habiter sur Tatouine. […] Je dois vivre avec le bruit constant des ventilateurs. Je suis John McClane qui rampe dans les conduits de ventilation».
Sa tendance à faire du name-dropping d’acteurs, de chanteurs et de sportifs nous permet également de dresser un portrait des personnages qui gravitent autour du narrateur. Des personnages qui prennent vie par l’entremise de Stéfanelle Auger, qui offre une palette de voix diversifiées. Elle est aussi tordante que Marc-Antoine.
Cela ne fait aucun doute: la formule solo sied bien dans cette adaptation, puisque le texte est assez puissant pour combler l’espace scénique, tant par son rythme que par ses silences.
Marc-Antoine Marceau dans «Ce qu’on respire sur Tatouine». Photo: Stéphane Bourgeois
De la version audio à la scène
Bien entendu, condenser une version audio de cinq heures en une production théâtrale de 70 minutes nécessite des coupures. C’est entre autres pourquoi la pièce offre moins de moments d’introspection, mais rassurez-vous: les passages emblématiques ont été transposés du roman à la scène pour notre plus grand bonheur.
Je pense notamment à la scène du réveillon, qui se déroule dans la famille de son beau-frère anglophone, Aaron, qui vit à New York. Il y fait la rencontre du frère d’Aaron, qu’il surnomme Tom Brady, en référence au joueur de football américain. Bercé par l’ivresse de la crème de menthe et de la chanson «Juste une p’tite nuite» de Dédé Fortin, il explique alors à Tom Brady la signification de cette chanson qui parle de rupture amoureuse. Ce dernier répète en boucle: «Calice, reste don!» avec son accent cassant, mais qui donne à la scène un aspect surréaliste.
On a l’impression de basculer nous-mêmes dans l’ivresse.
Cela dit, j’ignore si c’est en raison des droits d’auteur, mais contrairement au balado où l’on entend en arrière-plan la version originale de la chanson, ici on murmure simplement la mélodie et les paroles. À mon humble avis, la voix de Dédé aurait vraiment ajouté une couche de nostalgie et de profondeur à cette scène…
Le destin tragique du chanteur des Colocs, entremêlé à cette scène marquante où deux hommes éméchés et séparés par la barrière de la langue se retrouvent à picoler autour d’une crème de menthe, offre un mélange de pathétisme et de lumière à la fois.
Aussi, la scène où le personnage accepte de personnifier un lutin dans un centre d’achat est épique! L’acteur enfile, pour l’occasion, des bas de nylon rouge et vert et dépose un bonnet de lutin sur sa tête. Torse nu, il se démène sur scène, gesticulant de ses grands bras.
On a eu droit à un cinq minutes de simagrées et de pur bonheur contagieux. C’était hilarant.
Une pièce à voir!
Olivier Arteau, connu notamment pour ses mises en scène éclatées et disjonctées de Made in Beautiful et de Doggy dans Gravel, dont il signe également les textes, offre ici une comédie plus statique, où les mots de Jean-Christophe Réhel et la candeur du protagoniste sont mis au premier plan. Sans temps morts, c’est un véritable feu roulant de saynètes qui se succède dans un univers fantasmagorique.
Et ce qui est fou, c’est que, malgré l’immobilisme auquel est contraint l’acteur, ce spectacle reste étonnamment euphorisant pour le spectateur!
Cependant, je serais curieuse de voir la version ciné-théâtre sortie en avril 2021. Également mise en scène par Olivier Arteau, cette adaptation, réalisée par Elliott Laprise, mélange les codes du théâtre, du cinéma et de la télévision. On y retrouve l’acteur Marc-Antoine Marceau dans divers lieux et entouré de différents acteurs et actrices. C’est une tout autre ambiance et un tout autre niveau de jeu adapté à la caméra qui pique ma curiosité!
En somme, l’objet d’art qu’est Ce qu’on respire sur Tatouine demeure un incontournable, et ce, peu importe la forme qu’il adopte ou qu’il adoptera dans le futur. On y découvre un personnage à la fois sympathique et attendrissant qui nous renvoie à nos propres désirs et aspirations.
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de la rédaction