ThéâtreEntrevues
Crédit photo : David Ospina
L’effet domino d’une délicate proposition
Dans cette histoire, le bijoutier juif Monsieur Haffmann est en quelque sorte le personnage pivot. Sentant le danger venir avec l’Occupation nazie à Paris, «il offre à son apprenti, Pierre, de lui céder sa boutique gratuitement en échange de l’abriter et de le cacher aux Allemands», explique Renaud Paradis. «Cet arrangement est censé être très temporaire, jusqu’à ce que les choses reprennent leur cours», ajoute Julie Daoust… qui ne manque pas de rappeler que la situation va finalement s’éterniser bien plus que ce que tout le monde croyait!
Oui, mais voilà: l’employé Pierre Vigneau fait une contre-offre délicate au bijoutier, impliquant intimement sa femme et lui… Et, petit à petit, un huis clos malsain s’installe entre les trois. En effet, «là où Pierre pensait que sa contre-offre allait marcher, que ça allait vite se terminer et que tout le monde allait être heureux, on se rend compte que ça ne marche pas si facilement et que la guerre ne finit plus. Le doute commence à s’installer dans la tête du Français, de sa femme et du Juif », nous dit Renaud.
Inspirée de faits réels, cette pièce est à la fois un concentré d’émotions, de tensions, mais aussi d’humanité – agrémentée de nombreuses touches d’humour! «C’est très habilement écrit, car malgré la lourdeur du contexte, c’est extrêmement lumineux. On rit et on sourit beaucoup, il y a énormément de tendresse et de bienveillance», s’amuse Julie. Ce que Renaud approuve immédiatement, avant de compléter: «Oui, on ressort en se disant que l’humain est quand même capable du meilleur, et que le bien peut triompher! Ça fait réaliser que, malgré le contexte historique et social, des moments de vie précieux peuvent émerger. Ce n’est pas juste du drame.»
Une approche de mise en scène nourrie par le réel
Denise Filiatrault, aux commandes de la mise en scène, avait quatorze ans au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Comme le rappelle Julie, la metteure en scène avait donc de vrais souvenirs de ce qui se disait à la radio, car elle écoutait tout attentivement. Et Renaud avoue avoir été très inspiré par ses témoignages: «C’était une vraie source d’anecdotes qui nous ont nourris en tant que comédiens, car on sentait la tension et l’inquiétude qui étaient bel et bien présentes dans ce qu’elle nous racontait.»
Du côté de la scénographie, les choix se sont tournés vers un certain minimalisme et un certain réalisme respectant tout à fait les codes de l’époque. Renaud souligne notamment le travail d’éclairage soigneusement pensé, qui permet d’évoquer plusieurs lieux en remédiant à la contrainte de la scène du Rideau Vert, dont la superficie est restreinte.
Du point de vue des comédiens et de leur jeu, «le défi est dans le continuum», nous confie Julie. «Ce sont plein de courtes scènes interrompues par des noirs, et donc, pour nous, les comédiens, il ne faut jamais perdre de vue le temps qui s’écoule et la courbe dramatique de l’histoire et de chacun de nos personnages.» Ce que confirme Renaud, avant d’ajouter que cette pièce implique aussi un véritable balai d’accessoires et de changements de scènes, demandant alors une vigilance et une attention toutes particulières pour ne pas manquer le bateau!
Une résonance qui se crée avec notre époque
Bien que la guerre ne soit en aucun cas comparable avec la pandémie que nous vivons, rappellent nos deux interlocuteurs, le parallèle qui peut être fait avec le confinement et des situations à première vue inextricables est intéressant. «Ça suscite une belle réflexion», commente Renaud. «Car même si dans un contexte de pandémie on se remet à vivre un peu plus “normalement” ces derniers temps, on nous dépeint ici un huis clos confiné.» Julie confirme que «ça crée une résonance certaine chez les spectateurs, en tous cas!»
Adieu Monsieur Haffmann est donc une belle occasion pour le public de multiplier les émotions, les rires et les réflexions. «Si vous l’avez manquée la première fois, ne ratez pas votre coup cette fois-ci», s’amuse Julie avant d’ajouter que «cette pièce, c’est une main tendue de notre part vers le public – et inversement –, mais aussi d’un humain à un autre». Renaud, tout aussi enthousiaste, conclut en rappelant que «se rendre dans ce beau théâtre avec un rapport scène-salle direct et tellement chaleureux, ça va faire du bien!»