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Crédit photo : Marchel B. Eang
«Parce qu’on ne peut pas voir [durant le spectacle], il y a ce besoin de faire confiance à l’espace et à son partenaire. Car la réalité physique du spectacle vient surtout de la relation entre nos corps qui bougent, qui se touchent et qui, parfois, ne se touchent pas.» – Ralph Escamillan
Un capuchon de cuir comme une extension du corps
À travers son travail artistique et ses performances, le chorégraphe s’intéresse de près à la relation entre le vêtement et le mouvement. Son intérêt pour la mode et le textile l’a amené à réfléchir et à concevoir «des accessoires et des costumes, tout en ayant déjà en tête l’idée du mouvement. En gros, c’est d’imaginer la danse et un corps dans le vêtement avant même de le confectionner», a-t-il souligné.
Son nouveau spectacle whip, une performance où les deux interprètes sont vêtus d’une cagoule de cuir de cinq pieds de long, explore les différents liens de confiance que l’on peut entretenir avec son corps, avec l’espace et avec autrui.
L’idée est en fait venue à Ralph Escamillan lorsque le créateur Lincoln Heller de la compagnie de cuir FIVELEFT l’a approché pour travailler sur un design de vêtement qui explorerait la dualité du cuir, une matière à la fois souple et rigide. Ensemble, ils ont conçu un accessoire qui agit comme une extension du corps. «On a exploré le vêtement en cuir et ça a fini par devenir un tube sur la tête, car j’étais très intéressé par la danse du lion dans le kabuki et par la virtuosité des mouvements de tête dans diverses danses, la tête étant une partie du corps qui offre une grande portée de mouvements», m’a raconté le jeune chorégraphe d’origine philippine.
Vouer une confiance aveugle à sa partenaire
C’est donc en duo avec l’artiste russe Daria Mikhaylyuk que Ralph Escamillan dansera au MAI les 3, 4, 5 et 6 novembre prochains, la tête entièrement recouverte d’une longue cagoule en cuir. Les deux amis, qui ont tous les deux suivi le programme Contemporary Training Program Modus Operandi de Vancouver, seront en effet complètement «aveugles» durant leur performance.
La jeune danseuse, qui a fait partie de la bulle pandémique de Ralph, s’est avérée être la candidate idéale pour l’accompagner sur scène: «C’est la personne qu’il me fallait. J’avais besoin de quelqu’un avec qui je me sentais en sécurité, et c’était important que la personne se sente en sécurité avec moi aussi, car c’est un travail dans lequel la confiance doit régner. Pour whip, je ne pouvais penser à personne d’autre qu’à Daria», m’a-t-il confié.
Conscient qu’il ne verrait rien durant le spectacle, l’artiste a embrassé cette particularité du mouvement dans sa production. «Je commence à développer une technique autour du fait de ne pas voir, ou du moins d’avoir la vue obstruée durant mes performances. Il y a cette notion de confiance qu’il faut accorder à son corps et à l’espace qui est fort intéressante», ajoute-t-il.
Il se sert donc des ondes sonores pour mieux guider les danseurs et les aider à voir dans l’espace. La bande originale multivoie du compositeur vancouvérois Stefan Nazarevich résonnera d’ailleurs dans un système de son quadriphonique qui créera des repères auditifs sur la scène.
Une poignante démonstration d’intimité
À l’instar de son précédent spectacle Hinkypunk présenté en 2018, une proposition de nature beaucoup plus exubérante car ponctuée de paillettes et de couleurs, le directeur artistique de la compagnie FakeKnot visite maintenant l’autre bout du spectre à travers cette production beaucoup plus minimaliste et dénudée, ce qui met en la chorégraphie et les mouvements des corps.
Les spectateurs seront ainsi témoins de la manifestation du lien de confiance qui unit deux individus. À la fois intime et émouvant, whip promet d’être un spectacle qui agira en véritable coup de fouet émotionnel.
Attention, toutefois: une note lors de l’achat du billet avise que les deux premières rangées pourraient recevoir une douce caresse de leur singulier accoutrement! «C’est seulement à titre préventif!», a rigolé Ralph avant d’ajouter: «Même si on a confiance en notre corps, on ne peut pas prédire exactement comme ça va se passer. On a préféré laisser le choix au spectateur de prendre le risque ou non».
Sage décision, étant donné que la proximité physique n’a pas eu la cote dans la dernière année!