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Crédit photo : Sandra Lynn Bélanger (photo à la une: «La chose-en-soi»)
Jeudi dernier, je me suis rendue à l’Espace Orange du Wilder pour découvrir les propositions artistiques de Théâtre Fille Unique et The Chita Project, une présentation de Tangente.
Bien que j’ai déjà entendu parler du travail de Marie Reid et de Melania Maria, c’était ma première expérience avec leur collectif.
Quant à The Chita Project, après avoir vu Anna Kichtchenko et Pablo Pramparo performer au sein de compagnies de cirque connues à l’international, j’étais curieuse de découvrir leur propre création artistique et d’en savoir plus sur l’univers créatif de leur collectif.
La soirée s’annonçait donc riche en découvertes!
«La rencontre»: à la rencontre de l’autre
Le spectacle a débuté avec La rencontre. Sur scène, de grandes fleurs en peluche aux tiges vertes étaient disposées au sol, créant un décor à la fois étrange et intrigant. La disposition de la salle au format à l’italienne instaurait une atmosphère pour le moins intime, favorisant la proximité entre le public et les artistes.
En fond sonore, en accompagnement aux scènes qui se jouaient sous nos yeux, on pouvait entendre des bruits de la nature tels que le chant des insectes, plongeant ainsi les spectateurs dans une ambiance de forêt enchantée. Puis, des cris émanant du centre de la scène et répétés à plusieurs reprises ont provoqué quelques rires dans l’audience, ce qui m’a, je dois l’avouer, légèrement désorientée puisque, pour ma part, les bruits me paraissaient plutôt être un cri de douleur qu’un élément comique!
C’est alors qu’une première fleur, interprétée par Marie Reid, a commencé à bouger avec des mouvements rigides, donnant vie à la tige posée au sol. Sa tête, représentant la fleur, se mouvait avec dextérité. L’atmosphère, mêlant danse et interprétation, devenait intéressante, laissant cette fleur évoluer dans l’espace.
Les éclairages de Lauriane Cuello renforçaient l’ambiance naturelle et mettaient en valeur le corps de l’interprète, vêtue d’un unitard vert conçu par Julianne LeBel. L’ensemble évoquait une forêt où la fleur semblait émerger, comme un être vivant présent depuis longtemps.
Peu après, une deuxième fleur, interprétée par Melania Maria, est apparue en tombant au sol, se déplaçant comme un ver de terre tout en émettant des bruits de flatulences. Cette entrée a suscité des réactions amusées dans la salle, marquant ainsi la rencontre entre les deux fleurs: l’une perturbant l’autre, et ce, jusqu’à la fin de la représentation.
Le jeu gestuel des deux interprètes ajoutait une dimension ludique à la scène.
Cependant, j’aurais trouvé intéressant de pousser davantage l’exploration du mouvement à travers leurs interactions. Le mouvement rigide de la première fleur incarnait parfaitement le personnage, et il aurait été enrichissant de développer cet aspect, tout comme les mouvements de la seconde fleur… D’autant plus que la performance durait seulement 10 minutes!
Une exploration plus approfondie des mouvements corporels aurait permis de plonger davantage dans cette rencontre entre ces deux entités, tout en révélant les contrastes de leurs personnalités. On aurait ainsi pu profiter davantage du côté ludique et gestuel des interprétations, et cela aurait ajouté une véritable chorégraphie d’interaction entre les deux fleurs.
À mes yeux, cela aurait intensifié mon immersion dans cet univers singulier.
Malgré cela, le caractère ludique des sons émis par Melania Maria, ainsi que l’interprétation de Marie Reid, ont beaucoup plu à l’audience, qui a applaudi avec enthousiasme à la fin de la performance.
«La chose-en-soi»: à la croisée de la quête de soi
Après une courte pause à l’extérieur de la salle, nous avons été invités à reprendre nos places pour découvrir la deuxième œuvre de la soirée, La chose-en-soi.
Dès mon retour dans la salle, la scénographie a immédiatement capté mon attention: un tapis carré jaune occupait le centre de la scène, surplombé par une structure faite de matériaux du quotidien, comme des boîtes de lait en plastique, qui formaient une grande lampe suspendue. L’artiste Pablo Pramparo, assis en silence, observait sereinement l’arrivée du public.
Lorsque les spectateurs se sont installés, Anna Kichtchenko est entrée discrètement pour placer quelques éléments sonores au sol. Les deux interprètes ont ensuite enfilé de grands manteaux d’hiver et entamé une série d’interactions: des gestes, des accolades, des regards, créant par le fait même une trame sonore minimaliste où seuls leurs mouvements et la texture des manteaux se faisaient entendre.
J’avais l’impression d’assister à un dialogue silencieux où chacun exprimait ses pensées, dans une sorte de croisée de la quête de soi partagée.
Ces moments de silence, rythmés par les corps des artistes, étaient répétés tout au long de la performance, ce qui m’a beaucoup plu. Cela montrait qu’une trame sonore complexe n’est pas toujours nécessaire pour créer un environnement immersif. Parfois, la simplicité des mouvements corporels et de la respiration suffit à ajouter une touche artistique authentique.
J’avais l’impression d’assister à un moment méditatif où les artistes nous invitaient à nous laisser emporter par leurs gestes précis et leur technique affinée.
À d’autres moments, la scène changeait de registre, soutenue par une trame sonore de Joël Lavoie, évoquant un combat de boxe. Les artistes devenaient des combattants exécutant des acrobaties et des mouvements physiques impressionnants.
L’alternance entre jeu léger et duel sérieux donnait l’impression de partager avec le public une complicité intime.
Le rythme de la performance était fluide et ponctué de moments marquants, à l’instar de celui durant lequel Anna Kichtchenko s’est suspendue à la structure, créant une belle transition pour la suite. Il y avait une alternance intéressante entre le combat et un partenariat dansant, à la fois léger et imposant.
Ce qui m’a agréablement surprise, c’est le fait que les artistes étaient totalement maîtres de la scène, contrôlant eux-mêmes les changements sonores, les costumes, en plus de jouer avec la scénographie et les lumières!
Proposer une œuvre aussi abstraite, mais si bien orchestrée, était un pari audacieux. L’exécution précise des mouvements, le contraste entre silence et bruit, ainsi que la simplicité de l’interprétation, ont fait de cette performance une expérience intime et contemplative, destinée à être explorée par chaque spectateur!
Je salue le travail des artistes et la qualité des deux propositions artistiques. Une fois de plus, Tangente nous a offert, avec ce programme double, l’opportunité de découvrir des créations à la fois innovantes et originales.
«La rencontre» + «La chose-en-soi» en images
Par Eric Bates, Sandra Lynn Bélanger, Steffie Boucher, Caroline Thibault et Pierre Tran
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de la rédaction