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Crédit photo : Angelo Barsetti
Briser le silence pour mieux recoller les morceaux de son histoire
Le spectacle Pomegranate, qui se veut un hommage à sa grand-mère née en Chine en 1895, puise son inspiration dans la séparation et le déchirement causés par les grands mouvements migratoires qu’a connus sa famille. Inspirée par ce qu’elle connaissait déjà à propos de son aïeule et par l’histoire qu’elle s’était imaginée sur sa vie, la danseuse, aujourd’hui âgée de 61 ans, a monté un spectacle de danse dans lequel elle se laisse guider par les émotions et les souvenirs pour raconter son épopée familiale.
Toutefois, comme bon nombre de foyers frappés et séparés par les migrations, de nombreuses parties de son passé sont tombées dans l’oubli. Heather Mah a donc réalisé moult recherches auprès des membres de sa famille pour recoller les morceaux nécessaires à l’idéation de Pomegranate et à son exploration de soi.
«Ça a été plutôt difficile d’en apprendre sur ma grand-mère, d’autant plus qu’il y avait un stigma autour d’elle, puisqu’elle était une concubine. Mais j’ai toujours été très curieuse de connaître son histoire.» Vivant isolée du reste de sa famille qui était établie dans l’Ouest canadien, Heather est reconnaissante d’avoir brisé le silence et d’avoir pu en découvrir davantage sur ses origines.
«Ce solo m’a fait explorer le courage et la force que ça prend pour être capable d’explorer les profondeurs de soi-même et de son histoire.»
C’est ainsi qu’est née sa création Pomegranate, laquelle est inspirée, d’une part, par l’histoire de la migration de sa famille, forcée de quitter la Chine en raison de la Guerre civile chinoise, et, d’autre part, par la riche culture d’abondance qui règne en Chine et dont elle est héritière.
La pomme grenade: un fruit qui regorge de symbolisme
Parlant d’abondance, dans la mythologie grecque, la pomme grenade est un symbole de foisonnement, de féminité et de fertilité, et ces détails n’ont pas échappé à la danseuse d’origine chinoise. Pour un spectacle qui rend hommage à la femme, celle qui a donné naissance à de nouvelles générations, l’analogie ne pouvait être mieux choisie.
«Quand je regardais la pomme grenade, j’étais très intéressée par la difficulté qu’on a à ouvrir ce fruit pour en extirper les graines». Afin d’ajouter à la symbolique du travail de Heather, la particularité de ce fruit, commun en Asie occidentale et centrale, lui a indéniablement fait penser aux secrets de sa famille paternelle et à la difficulté qu’elle a eue à déterrer l’histoire de sa grand-mère qu’elle n’a jamais connue.
Être témoin d’un voyage introspectif
Pour monter ce spectacle, Heather Mah m’a expliqué avoir travaillé à partir d’une histoire qu’elle s’est racontée à elle-même, pour ensuite laisser son corps s’exprimer librement lors des répétitions en studio. «J’explorais comment les images que j’avais en tête seraient transmises par mon corps. Je m’imprégnais de l’émotion de la scène et, à partir de là, je laissais le corps s’exprimer.»
Avec une confiance inébranlable en ce dernier et en ses capacités, le fait de danser un solo d’une durée de 60 minutes au MAI semble tout naturel pour l’artiste: «Je serai seule sur scène, oui, mais pas totalement! J’ai l’impression que j’y amène aussi toute mon histoire et mes ancêtres».
Assisté par le danseur Marc Boivin, qui a agi comme regard extérieur lors de la mise en place de la chorégraphie, et par la musique d’Alexander MacSween, le spectacle promet d’être une «exploration de la lumière et de la noirceur, de la douleur et de la joie», et ce, à travers divers paysages scéniques et musicaux qui défileront. «La musique est incroyable», affirme Heather Mah. «Alexander a créé une composition qui change selon l’histoire, selon chaque place où on est rendus dans la chorégraphie.»
À l’image d’un paysage qui défile, Pomegranate s’annonce être à la fois un voyage introspectif qui relate une épopée familiale, et un spectacle-hommage à l’aïeule et à l’artiste qui ont toutes deux atteint l’âge où, selon elle, l’expérience détrône la beauté.
«J’ai aussi fortement été inspirée par le fait que ma grand-mère est décédée à l’âge de 60 ans, l’âge que j’aurais eu au moment où je devais présenter le spectacle pour la première fois, et qui a été repoussé à une date ultérieure en raison de la pandémie. Je sens que c’est ma façon à moi de l’honorer», a-t-elle conclu.