SortiesDanse
Crédit photo : Lucie Rocher
La performance débute sans sembler vraiment débuter. O’Hara nous laisse osciller entre le début et la fin de cette œuvre aux sujets complexes en cassant déjà le quatrième mur. On comprend, dès lors, le défi immense qu’elle et son alliée, la plasticienne Atom Cianfarani, se sont donné afin de donner vie à cette œuvre interdisciplinaire.
Une femme, blanche, blonde et aux yeux bleus nous dépeint alors la situation plus que complexe d’aborder ces sujets pourtant si délicats. La mise en scène de fils suspendus au milieu de discours sur les privilèges, les races, le capitalisme, les rapports de force, l’âge et les critiques internes et externes que ces sujets font émerger est agréablement soutenue par les tirades tantôt très articulées, tantôt tirées du langage courant de notre protagoniste. Un personnage que l’on admet déjà aimer dès les premiers instants, grâce à son humour bilingue et cinglant.
Oscillant entre autodérision et autoproclamation, on sent bien que c’est un voyage bien particulier qui nous est ici proposé.
Une œuvre qui critique tout en nous appelant à réfléchir sur l’époque dans laquelle nous vivons, mais, plus important encore, sur notre posture en celle-ci et les décisions que nous prenons, la responsabilité individuelle que nous nous octroyons, et l’impact de ces choix en nous et autour de nous.
C’est avec une avide curiosité que l’on suit les moindres faits et gestes de l’artiste sur scène, alors que des reflets de nous-mêmes nous sont présentés à travers les différents personnages proposés par O’Hara. Personnages plus que réels malgré leur immensité débordante et leurs allures surjouées. Personnages qui créent des malaises par leur authenticité. De la princesse Disney à la maîtresse de maison plus que bien nantie, à travers les gonflements uniformes ou irréguliers des robes, on peut sentir le gonflement de notre ego collectif qui se plaît bien à s’entretenir du mieux possible. Pour ne pas se regarder en face, ne pas souffrir, certes. N’est-ce pas?
La souffrance reste, pourtant. La tristesse, la colère, le dégoût aussi. Le dégoût de soi et des autres. Le dégoût de tout cela. Que faire? Les visages se crispent ou sourient «plastiquement» sur les séquences vidéo renvoyées sur des tissus blanchâtres. Entre le beige, le blanc cassé, le bleuté, le rosé… on sent la nausée qui veut monter. Les effets visuels et sonores se mêlent et accentuent cette dégénérescence généralisée. Sommes-nous des monstres nés dans de la ouate? De pauvres petites bêtes manquant de maturité? Ou alors simplement des humains? Des humains, dans notre réalité, dans une paralysante impuissance…?
Tel un mauvais rêve, un peu flou, un peu bancal et chaotique, Alexis O’Hara et Cianfarani nous laissent un bon moment macérer en nous-mêmes toutes ces pensées déterrées dans une finale qui tire presque sur le grotesque.
Des mots, plutôt devenus brouhaha de sons, s’emmêlent et se confondent dans un désordre grandissant, la salle devenant peu à peu une installation de gonflables difformes et envahissants. L’envahissement du blanc…
Le sujet n’est certes pas clos, cependant la porte de la réflexion a été grandement ouverte.
«OUFF» d'Alexis O’Hara en images
Par Lucie Rocher
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