«Folk-s / Will you still love me tomorrow?» à l'Usine C – Bible urbaine

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«Folk-s / Will you still love me tomorrow?» à l’Usine C

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L’épuisement des corps et des yeux

Publié le 27 février 2017 par Marine Morales-Casaroli

Crédit photo : Andrea Macchia

L’Italien Alessandro Sciarroni était à Montréal du 21 au 23 février pour présenter sa pièce Folk-s / Will you still love me tomorrow?, accompagné de cinq interprètes. Le chorégraphe lance les corps dans une répétition inlassable de pas de Schuhplatter, une danse folklorique de Bavière et du Tyrol.

La mécanique des corps dans l’espace et le temps

Déjà présents à l’entrée du public, déjà embarqués à battre la mesure, les six interprètes de Folk-s semblent n’attendre personne et ne voir que leur ronde. Pourtant, après les premières minutes, rehaussées d’un solo du chorégraphe, un de ses interprètes prend le micro et s’adresse à la salle: «Nous allons danser pour vous jusqu’à ce qu’il reste au moins une personne dans le public. Nous allons danser pour vous jusqu’à ce qu’il reste au moins un danseur sur la scène. Ceux qui décident de quitter le théâtre ne seront pas autorisés à revenir». Les règles sont énoncées clairement: tout le monde, ce soir, est libre de rester ou de partir.

Et la machine se met en route. Six corps disparates, dont on se demande s’ils sont danseurs, performeurs, comédiens ou sportifs, battent la cadence d’une séquence qu’ils répètent à l’infini.

Sur le plancher, par endroit équipé de micros qui amplifient les sons, sur leurs corps, qu’ils frappent du plat de leurs mains, le rythme résonne, se matérialise. Le groupe, d’abord soudé, dans une formation traditionnelle et universelle de ronde, redessine ensuite l’espace dans des jeux de déplacements précis, soulignés par des éclairages superbes.

Étrangement, malgré une synchronicité quasi parfaite, ces danseurs paraissent presque maladroits par moments. Le haut de leurs corps, prisonniers de camisoles austères, ne trouvent leurs mouvements qu’au niveau des avants-bras, leur conférant ainsi une drôle de posture, qui serait presque comique si la répétition inlassable et la résistance des corps n’avait pas toute notre attention.

La répétition des corps qui suspend le temps

Petit à petit, on perd toute notion du temps, happé par cette séquence obsédante qui brouille notre perception et nous entraîne dans une transe contemplative. Quelques personnes commencent à quitter la salle, mais avec les règles énoncées au début de la pièce, ces départs en deviennent anodins: ils font partie de la pièce. La notion de choix qui a été posée légitimiste ce geste et le dédramatise, ce qui enrichit la lecture de l’œuvre et nous implique dans son appréhension.

Les danseurs, eux aussi, commencent à délaisser l’espace. Quotidiennement, indifféremment, ironiquement, chacun quitte la danse à sa façon, marque un décompte, et souligne l’endurance de ceux qui restent. Lorsqu’il ne subsiste que deux danseurs, une bonne douzaine de personnes, si ce n’est plus, ont déjà quitté l’audience. Alors, comme un pied de nez, les deux rescapés ponctuent leur séquence d’un saut d’une puissance à couper le souffle pour marquer la finale. Mais c’est en fait une véritable respiration, un soulagement jubilatoire.

Et on se dit, finalement, que l’endurance sur laquelle porte la pièce n’est pas seulement celle des corps, mais bien celle du spectateur.

L'événement en photos

Par Andrea Macchia

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