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Crédit photo : Alexandre Guay
Quand t’as autant de place pour bouger que dans un wagon de métro à Berri-UQÀM un jour de semaine à l’heure de pointe, que tu vois à peine la scène parce que t’es trop petite et que la foule du Club Soda est aussi compacte que déchaînée, et que tu te rends compte que le gars derrière toi qui connaît toutes les paroles et qui crie avec enthousiasme avec Serge Brideau des Hôtesses d’Hilaire les paroles satiriques de «Pousser la note», c’est Bernard Adamus, tu te dis que ça ne se peut pas.
Ça ne se peut pas qu’un groupe acadien de rock alternatif qui part sur une balloune et qui décide d’écrire un opéra-rock satirique – ou du moins très critique de la télé-réalité et du succès instantané, et aussi très loufoque – inspiré de l’histoire de Wilfred LeBouthillier de Star Académie 2003, connaisse autant de succès à Montréal et attire une foule aussi imposante. Imposante comme le projet, finalement: on a droit à des comédiens sur scène (remarquable Robin-Joël Cool, dynamique Anna Frances Meyer, et Diane Losier, plus en retrait, mais non moins efficace), à des choristes (les polyvalentes Hay Babies), à un dispositif scénique, à une mise en scène complètement déjantée, signée le Théâtre du Futur, et à une trame narrative élaborée.
Mais finalement, quand tu sors de là – même si j’ai dû changer de place à quelques reprises pour essayer de voir quelque chose et que je sais que je n’ai malheureusement pas perçu la moitié de tous les détails soigneusement mis en scène dans cette grandiose proposition -, tu te dis que ça se peut; certain que ça se peut. Il n’y a qu’à entendre les textes, intelligents et mordants, sans tomber dans la méchanceté ou le jugement; il n’y a qu’à voir cette bande de joyeux gaillards sur scène avoir tellement de plaisir, mais aussi être sérieusement investi dans leur tâche. Parce que mine de rien, même si on s’amuse diablement et qu’on se laisse prendre par les refrains entraînants, il y a un propos et il y a un vrai album avec des compositions bien travaillées!
Quand on voit, en finale, le chanteur Serge Brideau arriver en robe de mariée, on réalise jusqu’où ce groupe est prêt à aller pour divertir, et on se dit que cette invitation, Viens avec moi, est bien titrée, parce que visiblement, il y en a plusieurs centaines qui étaient présents à cette soirée d’ouverture du Coup de cœur francophone qui les suivraient bien n’importe où! J’en suis sortie soufflée, par tant d’audace et aussi tant de plaisir, aussi manifeste sur scène que dans la salle. Avec Les Hôtesses d’Hilaire, on avait l’impression de participer à un gros party où on était chaleureusement invité, pas juste témoin reculé.
Pourtant, quand je me suis rendue dans la même salle une semaine plus tard pour voir Philippe B & the Alphabets, l’ambiance était tout autre. Le party était plus intime, et même s’il était, pour l’occasion, accompagné de clarinettes, d’un saxophone, d’un trombone, d’une trompette, de deux choristes, d’un violon, d’une basse, d’une batterie et d’une guitare lap steel, l’artiste n’était pas là pour flasher. «Moi, c’est Philippe B, donc la logique c’est l’alphabet. C’est pour ça que mon band s’appelle The Alphabets. C’est juste ça le concept, ça va pas plus loin. C’est juste eux pis moi qui jouent de la musique; on va pas jouer un sketch un peu plus loin dans le show», a-t-il d’ailleurs prévenu d’emblée.
Avec Philippe B, c’était le silence plat, le silence respectueux, même admiratif des spectateurs. De «Calorifère» à «Je t’aime, je t’aime», il nous a chanté l’amour. De «Interurbain» à «Nocturne #632», il nous a promenés entre l’Abitibi et le quartier Hochelaga-Maisonneuve; et aussi entre la pénombre et la lumière. C’était doux, c’était beau, même si les solos électriques et l’apport de la guitare lap steel m’ont parfois semblé superflus; c’est ça, Philippe B, il n’a pas besoin de grand-chose pour émerveiller, et on apprécie de sortir de son spectacle comme apaisés.
Même Stéphanie Boulay, en ouverture de Philippe B, a donné dans la force tranquille, dans le tellement doux qu’on s’est presque demandé si c’était trop. Mais non, ce n’est jamais trop, parce que parfois, aussi, ça prend du grandiose pour l’âme, pas juste du grandiose pour les yeux; et pour ça, Coup de cœur francophone répond toujours à tous nos besoins, aussi variés soient-ils.
À l’an prochain!
Coup de cœur francophone 2018 en photos
Par Alexandre Guay et Jean-François LeBlanc