«Les albums sacrés»: les 30 ans de Ten de Pearl Jam – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: les 30 ans de Ten de Pearl Jam

«Les albums sacrés»: les 30 ans de Ten de Pearl Jam

Une voix, du rock et une conscience sociale

Publié le 1 juillet 2021 par Isabelle Lareau

Crédit photo : Epic Records

J’ai découvert Pearl Jam peu après Nirvana. Deux groupes originaires de Seattle qui ont lancé leur album à un mois d’intervalle et dont les destins ont été entremêlés. En 1991-1992, j’estimais que ces deux formations appartenaient au même genre, soit celui de la musique grunge. La grande majorité des mélomanes se rangeaient d’un côté ou de l’autre, et rarement on aimait les deux bands avec la même intensité.

Personnellement, j’étais dans l’équipe Nirvana, mais j’aimais bien Pearl Jam. J’ai souvent écouté les premiers albums de la formation sur mon Walkman, mais je n’avais jamais ressenti le besoin d’investiguer les origines de ce quintette.

Aujourd’hui, je rattrape donc le temps perdu et je vous propose de faire un saut dans le passé, soit trente ans en arrière, à l’époque où les chemises à carreaux en flanelle, les jeans déchirés et les Doc Martens étaient pratiquement un uniforme et que la «vraie» musique ne passait pas à la radio.

Un début fracassant grâce à un peu de chance

Si le groupe existe, c’est en partie en réaction à un drame. En effet, à la suite de la surdose d’Andrew Wood, le chanteur de Mother Love Bone, le guitariste Stone Gossard et le bassiste Jeff Ament se sont retrouvés sans formation.

Ce n’est que plus tard qu’ils ont formé un groupe, et ce, grâce à la participation du guitariste Mike McCready, un copain d’enfance d’Ament. Ensemble, ils ont retravaillé les maquettes de Mother Love Bone, qui n’avaient pas été utilisées pour l’album Apple. À la recherche d’un batteur et d’un chanteur, ils ont fait circuler leur démo. Cette tactique leur a permis de recruter le batteur Dave Krusen (en fait, il y a eu quatre batteurs avant que Matt Cameron ne devienne un membre permanent).

C’est un excellent départ, mais il manque une pièce importante…

Par le biais d’un ami, un musicien et surfeur de San Diego, nommé Eddie Vedder, a reçu et écouté cette fameuse cassette… Il a rapidement composé les paroles et a renvoyé l’enregistrement, accompagné de sa voix et de ses mots.

Une écriture imagée et poétique

Je crois que la rapidité avec laquelle ce dernier a écrit les paroles s’explique par le fait que les sujets explorés étaient des souffrances personnelles qui cogitaient dans son esprit depuis un moment déjà. C’est aussi pour cette raison qu’il a réussi à créer une trilogie ayant pour thématique une relation mère-fils dysfonctionnelle inspirée, en partie, par son vécu.

L’album débute en force avec «Once». Bien que l’histoire relate celle d’un tueur en série qui avoue ses crimes sans éprouver de regret («I admit it / What’s to say / I’ll relive it / Without pain»), m’a toujours semblé être la confession d’une âme torturée et non celle d’un psychopathe.

S’ensuit la très entraînante «Alive», pour laquelle Vedder a puisé son inspiration à même son vécu, à savoir qu’il a appris que son père est, en fait, son beau-père, et que son père biologique n’est plus de ce monde… («What you thought was your daddy / Was nothin’ but a / While you were sittin’ / Home alone at age thirteen / Your real daddy was dying»).

Les paroles en lien avec la relation incestueuse entre une mère et son enfant constituent une fiction («While she walks slowly / Across a young man’s room / She said I’m ready, for you / I can’t remember anything / To this very day / Except the look, the look / Oh, you know where»).

En guise de conclusion pour ce triptyque, Eddie a laissé son imagination dévier vers une fantaisie extrême: «Footsteps» représente l’exécution du protagoniste de «Once». Cette pièce n’a pas été retenue pour Ten, mais a été lancée en tant que B-side du simple «Jeremy».

Ce concept démontre bien l’immense talent de raconteur du surfeur qui amalgame fiction, mystère et poésie.

Le chanteur ne déroge pas trop de cette voie, soit la noirceur des sentiments humains, en abordant sans détour une tragédie qui est, malheureusement, toujours d’actualité: les armes à feu dans les écoles et, par ricochet, le suicide.

Il s’agit du récit de Jeremy Wade Delle, 15 ans, qui s’est enlevé la vie en classe, devant la professeure et les élèves. Vedder a affirmé avoir été très touché par cet événement. Il ressentait le besoin d’honorer le défunt. Cependant, les élèves de Richardson High School et les parents de Jeremy n’ont pas du tout apprécié cette chanson, car elle ne rend pas justice à Jeremy, à sa situation familiale (qui était bonne) et, en gros, à sa vie, qui représente davantage qu’un suicide dû à son combat avec la dépression.

Longtemps, nous avons eu droit qu’à la version censurée, ce qui n’a peut-être pas favorisé une bonne compréhension de la finalité de cette histoire. Cependant, la vidéo non éditée éclipse tout doute quant au dénouement.

«Jeremy» fait également écho à Brian, un élève avec qui Eddy Vedder est allé au secondaire. Le musicien se souvient d’avoir intimidé ce jeune, qui a (aussi) apporté une arme à l’école (des coups de feu ont été tirés, mais il n’y a pas eu de blessés).

Ce morceau si controversé a définitivement contribué au succès du groupe de Seattle. Pourtant, la compagnie de disque ne croyait pas trop au potentiel de ce titre, refusant de financer une vidéo. Les membres ont fait appel à un photographe émergent pour filmer le clip original.

Comme nous le savons, l’étiquette s’est ravisée par la suite.

La magnifique «Black» est jolie et triste. Eddie s’efforce ici d’être résilient face à une séparation douloureuse mais inévitable. Pour les paroles, il s’est inspiré de sa rupture avec sa copine, qu’il a rencontrée par le biais de la troupe de théâtre de son école secondaire.

En raison de la nature personnelle de la chanson, la formation n’a pas voulu que ce soit un extrait et a refusé de réaliser un clip. Malgré cela, cette pièce est considérée comme l’un des grands classiques de Pearl Jam.

En fait, les membres de la formation ont eu la maturité de reconnaître leurs limites et ont préféré faire preuve de modération en ce qui concerne la promotion, spécialement en ce qui a trait à la marchandise, aux entrevues et aux vidéos. Fait amusant: Eddie a même refusé de participer à une campagne publicitaire de Calvin Klein!

Cette stratégie a probablement été l’un des facteurs ayant contribué à la longévité du quintette.

Authenticité et pérennité

En réécoutant Ten, je ne considère pas qu’il a si bien vieilli. Je m’explique: le jeu de guitare nous rappelle le son des années 90, et la réalisation est une capsule dans le temps, avec les particularités de cette décennie, c’est-à-dire des sonorités plus garage, une voix abrasive et beaucoup de distorsion. D’ailleurs, la formation n’était pas satisfaite du résultat, reprochant l’omniprésence de la réverbération sur le disque.

À vrai dire, Pearl Jam est un groupe de rock classique et non grunge. Ce sont d’excellents musiciens, qui ont su concevoir de véritables hymnes, avec une énergie hors du commun.

Bien qu’ils aient été influencés par The Who, Neil Young, Stevie Ray Vaughan, Led Zeppelin et Aerosmith, ils ont su créer une identité qui leur est propre. Une identité qui continue d’évoluer et qui leur permet de conserver un son unique. De plus, la voix du chanteur (baryton, cinq octaves), est incroyable, chaleureuse, émotionnelle et vigoureuse. Sa façon de chanter est très intéressante, car il utilise différentes techniques. Il a même remis au goût du jour le yarling!

Par contre, Eddie Vedder et ses acolytes ont ceci de commun avec les formations associées à l’émergence du punk et du grunge: la revendication. Leurs prises de position les ont positionnés comme activistes. Le parolier, très habile, a insufflé la vie à des réalités très humaines, dont le sentiment d’appartenance, le droit des femmes de décider de leur corps, le fléau causé par la facilité d’accès aux armes à feu, les traumatismes d’enfance, les sans-abris, les maladies mentales, et j’en passe.

Je dois avouer que j’ai eu beaucoup de plaisir à revisiter Ten. À ma grande surprise, j’ai même chanté les paroles que je connais par cœur (malgré que cela fait trente ans).

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» en juillet 2021.  Consultez toutes nos chroniques précédentes au labibleurbaine.com/Les+albums+sacrés.

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