MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : Kitty-Yo
Peaches est une avant-gardiste, dans une catégorie à part, en marge de la marge. Elle crie et se tortille sur le rythme de son propre tambour, ou plutôt, de son clavier Roland. Elle met de l’avant une ironie poussée à des extrêmes inconcevables, voire grotesques, une sexualité repensée et, par la bande, un tout autre registre musical où elle manie les sons, rappe et, sur scène, agit comme une vedette rock complètement déjantée.
Il n’y a pas de clip officiel pour «Fuck The Pain Away», mais Peaches aime beaucoup cette vidéo faite par des étudiants en arts.
Devenir Peaches
Cette Torontoise, née Merrill Beth Nisker, ne se destinait pas à devenir une musicienne professionnelle. Elle croyait que la seule façon de percer dans l’industrie était grâce à un membre de sa famille qui en faisait déjà partie. Elle a plutôt grandi dans une maison où le théâtre était à l’honneur. Enfant, elle n’aimait guère l’école, car trop rigide. Elle préférait les arts.
Merrill amorça donc des études en théâtre à l’Université York de Toronto, car elle souhaitait devenir metteuse en scène et produire des comédies musicales. Cependant, après un an, elle réalisa qu’elle n’avait pas le contrôle voulu sur ses productions. De plus, elle devait gérer les acteurs, une difficulté dont elle se serait bien passée. Mais surtout, elle, qui voulait si ardemment exprimer sa créativité, constata qu’elle ne savait pas comment être créative. Elle termina donc son parcours académique en arts dans l’espoir de le découvrir.
Après avoir obtenu son diplôme, elle enseigna la musique aux enfants pendant dix ans, une expérience très formative. Alors qu’elle apprenait la guitare, elle a eu l’idée d’intégrer l’instrument dans ses cours afin de permettre aux tout-petits de se laisser aller et d’improviser des pièces de théâtre. Cet auditoire, qu’elle qualifiera de pire qu’un public punk, était d’une honnêteté incroyable et sans inhibition. Elle découvrait enfin sa créativité. Elle fit brièvement partie d’un groupe folk et, par la suite, elle mit sur pied une formation jazz et lança un premier disque.
En 1995, une amie et bassiste lui présente deux copains musiciens, dont Chilly Gonzales, pour discuter de la création potentielle d’un quatuor. Elle n’était pas enchantée, de prime abord, par cette rencontre, puisqu’elle désirait créer un groupe exclusivement féminin, de type riot grrrl. Elle se souvient avoir été spécialement froide lors du premier contact, mais un joint plus tard, chacun était derrière un instrument et criait.
La rage, la frustration sexuelle et le flirt avaient un exutoire; ils se prénommèrent The Shit. Puisqu’il était coutume, pour la formation, d’échanger d’instrument entre eux, elle fut initiée au synthétiseur. Ce fut une révélation pour la guitariste; elle pouvait créer une multitude de sons étranges. Malheureusement, cette aventure prit fin après un an seulement, ce qui causa un grand sentiment de vide dans la vie de celle qui avait désormais adopte le nom d’artiste de Peaches.
Histoire de briser la monotonie, elle s’acheta un clavier.
Cancer, rupture et sens de l’humour
Elle expliqua au média The Guardian: «Je suis allée dans un magasin de musique et j’ai vu ce synthétiseur Roland, en démonstration. J’ai mis les écouteurs et j’ai commencé à jouer. J’ai réalisé qu’avec cette machine, je pouvais être tous les instruments que je voulais être. Je l’ai donc acheté.»
Malheureusement, la musicienne, alors âgée de 30 ans, reçoit un diagnostic de cancer de la thyroïde. Elle guérira, mais cet évènement provoqua une remise en question. Elle a réalisé que sa raison d’être c’est de créer de la musique, mais aussi que sa relation pourrait ne pas survivre à cette réorientation. Jouer avec The Shit avait ouvert une porte qu’elle ne voulait pas refermer.
Et comme elle le présumait, un fossé s’est creusé entre elle et l’être aimé, ce qui résulta en une rupture. Le cœur brisé, elle s’enferma dans sa chambre, installa le synthétiseur sur son lit, fuma du pot et créa ses premières chansons à la Peaches.
Malgré une façon de procéder qui peut sembler peu productive, elle avait une idée précise de ce qu’elle voulait composer, et c’était plutôt ambitieux. Peaches voulait que sa musique s’inscrive dans le courant pop; elle souhaitait attirer le grand public et créer de nouveaux clichés, entre autres déconstruire le mythe de la femme-objet, favoriser l’idée d’une sexualité positive, détruire les préjugés associés au genre, et encourager les gens à être confortables avec leur corps.
Mais surtout, cet album, grandement influencé par la rupture, devait explorer sa rage, et non la dépeindre comme une victime. C’est ainsi que «Lovertits» fut écrite; cette pièce donna le ton à The Teaches of Peaches. À 33 ans, sa créativité était enfin fleurissante.
Une artiste et sa mission
Un album très humain, malgré un son très électro, où l’énergie rock est palpable. Des paroles des plus rebelles, mais simples et faciles à mémoriser, énoncées dans un mélange de rap et de chant. Un choix étonnant, puisque Peaches a une très bonne voix. En fait, les mélomanes pourront éventuellement avoir un aperçu de son timbre, mais pas en 2000. C’était un choix conscient, car elle voulait que le public comprenne qu’elle est aussi la compositrice et la réalisatrice.
Peaches avait un message et un nouveau langage à transmettre.
Une partie du charme de la chanteuse est qu’il n’y a aucune subtilité, ce qui choquait bien des gens au début des années 2000, qui l’accusaient de détester les hommes. Mais depuis, nous nous sommes habitués à voir et à entendre une femme en contrôle qui ose parler franchement de sexualité, et ce, dans des termes généralement utilisés par des hommes.
Pourtant, même si ses paroles apparaissent, au premier regard, vulgaires et sans profondeur, il y a un deuxième degré. Un peu comme si elle nous disait: maintenant que j’ai votre attention, je veux que vous réfléchissiez aux genres, au pouvoir, au genre du pouvoir et au fait que le pouvoir est inextricablement relié au sexe. Elle dénonce le mur qu’il y a entre ce qui est accepté et ce qui constitue la réalité.
Ses armes de rééducation? Ses chansons subversives et explosives.
«Rock Show» est, selon moi, une chanson qui représente l’essence même du rock and roll. «Diddle My Skittle» et «AA XXX» constituent une bravade, le manifeste d’une femme qui prend en charge sa sexualité. «Sucker» est une agression sonore qui déménage. La version originale de «Set It Off» est bien, mais le remix a définitivement apporté une dose de vitalité à cet extrait revendicateur.
«Cum Undun» est une diatribe envers son ex, mais aussi envers elle-même. Et le classique «Fuck the Pain Away», est ironique, certes, mais aussi une expression pure de la douleur découlant de sa peine d’amour.
Par ailleurs, lorsque le magazine Pitchfork lui a demandé qu’est-ce qui lui permet d’être vraie dans son art, elle a répondu qu’elle laisse tomber sa garde, qu’être vulnérable ne veut pas nécessairement dire pleurer devant les gens, mais plutôt enlever le vernis et dire: «voilà».
Cette authenticité, rarissime, confirme le caractère si unique de Peaches. À mes yeux, elle a mis la tronçonneuse dans des paradigmes qui doivent disparaître et a encouragé les femmes et la communauté LGBTQ à prendre leur place.