MusiqueLes albums sacrés
Crédit photo : Audiogram
Peut-être que vous vous souvenez de la chronique à propos de l’album Le Dôme (1996), publiée dans la cadre de la série Les albums sacrés, où j’explique comment ce disque a réveillé chez moi une appréciation pour la musique québécoise que je n’avais pas.
Par la suite, je suis tombée sous le charme de ce chanteur-auteur-compositeur; je réalisais (enfin) que ses paroles traduisaient avec brio des états d’âme dans lesquels les mélomanes pouvaient se reconnaître. De plus, c’est sa discographie complète qui est mémorable, des parutions qui s’écoutent aussi bien aujourd’hui qu’à l’époque où elles furent lancées.
Est-ce que les enregistrements sont tous aussi remarquables les uns que les autres? Hum… Nous pourrions en débattre.
On jase…
Les Fourmis (1998) est une offrande qui ferait certainement partie de la discussion. À vrai dire, je ne suis pas tout à fait vendue aux albums enregistrés en concert, la série Unplugged de MTV constituerait l’exception (et ceci pourrait être un autre sujet de conversation). Mais, à ma grande surprise, j’aime beaucoup cet opus. Je crois qu’il y a une certaine qualité plus émotionnelle qui s’en dégage et que c’est pour cette raison que ça a plu aux fans.
Toutefois, il faut bien le souligner, sur onze extraits, il y a huit nouveaux morceaux. C’est bien plus que la majorité des disques de ce genre qui n’offrent généralement qu’une seule nouvelle pièce. Mais Jean Leloup aime faire les choses à sa manière. En effet, les chansons de cet opus, enregistrées en concert au (feu) D’Auteuil à Québec le 5 août 1998 (qui devrait rouvrir en juin 2019), et en studio, sont en quelque sorte le prolongement logique de l’album Le Dôme; la thématique du voyage est encore bien présente.
Entre la fourmilière et l’espace
En fait, le titre «Fourmis» est une odyssée plutôt surprenante où des fourmis (ou des hommes?) se sentent submergées par le monde qui les entoure et se doivent de briser ce tourbillon qui les engouffre. L’introduction de cet extrait crée un sentiment d’anticipation et le paroxysme est atteint grâce aux refrains et aux fameux oh-oh, et, bien sûr, à l’aparté à propos des fourmis intersidérales.
Du point de vue des paroles, Leloup n’offre pas, avec ce morceau, une fenêtre ouverte sur son jardin intérieur, mais sa façon de chanter prodigue une certaine dose d’émotions, et celles-ci se frayent un chemin jusque dans notre imaginaire, créant une impression d’immensité aussi vaste que l’infini spatial.
«Voyager» exprime avec merveille le désir d’explorer et de vagabonder. Le rythme est invitant et nous donne l’impression de nous évader, de faire un saut dans l’inconnu.
Jean et sa guitare
Pour sa part, le classique «Je joue de la guitare» apparaît comme une incursion dans la tête du chanteur; il ressasse son désespoir et nous présente son constat, sans frivolité.
Cette pièce réconfortante est exécutée avec beaucoup de poésie et d’authenticité. Pourtant, les mots sont d’une tristesse incroyable: «La solitude parfois est immense / Tout plutôt que d’être ce passant qui traverse le temps / De temps en temps / Alors je pars à la dérive / Mon lit est un navire / Un atelier où je vais pour l’éternité / Voyageur d’un instant présent / Je ne sais pourquoi je suis si triste / J’aimerais appeler quelqu’un, mais qui Dieu? / Je me sens seul / Viens je viens, tout m’isole».
Il cite également l’un des vers du célèbre poème Soir d’hiver d’Émile Nelligan, un hymne où la désolation et la douleur sont palpables. Quand Jean Leloup parle de ses «grands instants de lucidité», nous comprenons qu’il s’agit davantage d’une sombre et cruelle réflexion qu’une épiphanie soudaine.
«La vie est laide» est un titre intéressant, car Leloup adopte le point de vue d’une femme qui souffre de ne pas être belle, de son patron qui ne la remarque pas, de ses collègues plus jeunes et plus jolies qu’elle… L’héroïne semble vivre dans le déni pour se protéger, bien qu’elle sache que la situation est injuste et irrémédiable. L’extrait vidéo surprend, car le résultat, stylisé, rétro et cinématographique, est une interprétation littéraire des paroles, ce qui est plutôt rare pour le Roi Ponpon.
L’extrait «Bertha» est plus déjanté et il nous fait penser à l’époque de L’amour est sans pitié (1991). Ce dernier est placé, stratégiquement, après une nouvelle version de «Cookie», revisitée à la sauce psychédélique et sixties. «Faire des enfants» est légèrement plus molle que l’originale, mais elle est toujours aussi délicieuse. La pièce «La pluie» est peut-être la moins captivante de l’offrande et laisse transparaître quelques signes d’essoufflement.
L’univers de Leloup
Mais on sent aussi un certain empressement de la part du musicien, une spontanéité dans la conception, un peu comme s’il ne voulait pas revivre la lourdeur occasionnée le processus entourant Le Dôme.
Par contre, Les Fourmis prouve, encore une fois, à quel point John the Wolf est un musicien non conventionnel et très attachant. Peut-être que ce disque est moins solide ou constant que certaines de ses parutions, mais c’est, en quelque sorte, une pause pour l’esprit, un moment de plénitude qui nous permet de rêvasser.
Jean Leclerc apparaît plus calme, il partage avec nous des instants de liberté et il semble avoir lâché prise. Il exhibe un côté artiste et très humain, une facette de lui qui se cache parfois derrière le personnage excentrique.
C’est un musicien à part qui a su transformer son délire musical en envoûtement, en créant un univers souvent farfelu, parfois mélancolique, mais toujours imaginatif…