«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «Fantaisie Militaire» d'Alain Bashung – Bible urbaine

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«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «Fantaisie Militaire» d’Alain Bashung

«Les albums sacrés»: le 20e anniversaire de «Fantaisie Militaire» d’Alain Bashung

Le gemme du légendaire chanteur français

Publié le 10 janvier 2018 par Mathieu St-Hilaire

Crédit photo : www.discogs.com

Au tout début de l’année 1998, la France a la cote à l’international. En effet, dans toute la vague de musique électronique qui déferle un peu partout sur les chaînes télévisuelles (ça fait un bail, semble-t-il) et sur les radios, de nouveaux artistes français émergent rapidement. En 1997, Daft Punk a fait un tabac avec son premier album Homework, et Kid Loco entre aussi dans l’avant-garde musicale avec A Grand Love Story. Ailleurs, le rap français devient incontournable avec IAM, Suprême NTM ou MC Solaar. Un nouveau duo électro-planant nommé Air fait également parler de lui sur la planète avec son album Moon Safari. Tout ça est bien beau, mais ce n’est rien pour impressionner Alain Bashung qui, même à cinquante ans, enregistre probablement son meilleur album, l’irréprochable Fantaisie Militaire.

Bashung en a vu d’autres. Au tout début de sa carrière, au milieu des années 1970, le succès ne vient pas. Il attend plusieurs années avant de récolter un succès avec Pizza, en 1981, et signera plusieurs autres albums intéressants lors de cette même décennie. Au tournant des années 1990, l’artiste livre Osez Joséphine, toujours considérée aujourd’hui comme une œuvre majeure dans l’histoire de la musique française.

La suite de l’histoire pourrait toutefois être compliquée. Comment demeurer pertinent avec toutes ces mutations musicales qui caractérisent le milieu des années 1990? La réponse est bien simple: en écrivant des chansons magistrales et intemporelles.

Pour son dixième album Fantaisie Militaire, Alain Bashung s’entoure de gens de talent. D’abord Joseph Racaille, maître arrangeur des instruments à cordes, qui enveloppe les pièces du légendaire chanteur français. Aussi avec Adrian Utley, musicien anglais qui fait partie du groupe Portishead, qui est à l’origine de tout ce nouveau son qui branche bien les mélomanes branchés: le trip hop. Bref, Bashung est au fait des nouveaux codes musicaux et des nouvelles sonorités qui s’installent dans le paysage global. Ne reste plus qu’à écrire des chansons truffées d’esprit et d’intelligence, et le tour sera joué.

Bashung-Abaca

Dès le départ, le nouvel environnement sonore de Bashung se fait entendre. «Malaxe» est une introduction où les claviers donnent une ambiance quasi cinématographique à la chanson. Dans cette entrée en matière nocturne, il remarque: «L’homme de demain sera hors norme». Les ambiances de guitares d’Adrian Utley y sont jouissives, tordues, sensuelles, collant parfaitement à la poésie du chanteur. Fantaisie Militaire sera une exploration non seulement sonore mais aussi existentielle. L’auditeur aura une table juste devant la scène des combats internes d’Alain Bashung.

La deuxième pièce est tellement grandiose qu’on se demande si elle a été égalée depuis en chanson française. «La Nuit je mens» est une sublime chanson où Bashung semble se confesser sur ses mensonges et histoires racontées aux femmes qu’il séduit. L’arrangement de cordes est absolument délectable. À l’intérieur, Bashung à la fois déchiré et nonchalant, se livre, avouant son spectacle: «J’ai fait la saison dans cette boîte crânienne / Tes pensées, je les faisais miennes / T’accaparer, seulement t’accaparer / D’estrade en estrade, j’ai fait danser tant de malentendus». Grandiose.

La chanson titre est tout ce qu’il y a de plus malsain, tant musicalement que lyriquement. La pesanteur des guitares et la ligne mélodique simple mais terrifiante au piano restent dans notre esprit tel un cauchemar. «L’amour t’a faussé compagnie», livre un Bashung tout aussi alarmé. «2043» est une visite vers les sonorités moitié trip hop, moitié drum n’ bass. Encore une fois, le chanteur fait preuve qu’il est comme un caméléon qui peut s’adapter à n’importe quel environnement.

L’ambiance claustrophobe de la pièce précédente fait place encore une fois à des guitares lourdes sur «Mes Prisons». «Mes prisons / Sont des modèles / De sublimes inquiétudes», souligne fièrement Bashung, comme si ses préoccupations devenaient sa nourriture. «Ode à la vie», aux rythmes incessants, semble être un hommage à la poésie contenant de belles culbutes lyriques.

«Dehors» est une ballade folk lancinante aux multiples images sensuelles. Par la suite, «Samuel Hall» est une reprise de Johnny Cash à la sauce drum n’ bass (vous avez bien lu) fortement réussie, dont les paroles ont été adaptées en français. D’ailleurs, la chanson est la seule reprise du disque, au contraire de son autre petit bijou Osez Joséphine (1991), qui comptait pas moins de quatre reprises, toutes chantées en anglais. À ce sujet, Osez Joséphine est un album beaucoup plus américain, donnant dans l’inspiration americana. Fantaisie Militaire est chanté entièrement en français et est beaucoup plus européen.

Après «La Nuit je mens», l’album comptera deux autres extraits. «Aucun express» voit Bashung atteindre cet endroit magique quasi inatteignable où l’amour est roi sur tout. «Aucun express ne m’emmènera / Vers la félicité / Aucun tacot n’y accostera / Aucun Concorde n’aura ton envergure», relate-t-il. Ensuite, «Sommes-nous» est peut-être la pièce la plus conventionnelle du disque, sauf que les sublimes arrangements de cordes donnent une richesse inouïe à la chanson. Pour clore le long-jeu, «Andora» est une courte mais poignante ballade au piano où Bashung semble lire son avenir: «Le souffle coupé / La gorge irritée / Je m’époumonais / Sans broncher». Onze ans plus tard, le chanteur succombera d’un cancer du poumon à l’âge de 61 ans.

Fantaisie Militaire sera l’un des plus grands succès commercial et critique d’Alain Bashung. Il atteindra la première position en France, tout comme ses deux albums suivants, soit le ténébreux L’Imprudence (2002) et son dernier Bleu pétrole (2008).

De son très vaste corpus, le dixième album de Bashung est probablement son plus achevé et aussi celui qui a le mieux vieilli, ses sonorités n’ayant aucunement expirées, et encore moins les thèmes qui les accompagnent. En 2005, les Victoires de la musique, en France, l’ont déclaré meilleur album des vingt dernières années et le journaliste belge Gilles Verlant mentionnera le disque comme étant le «diamant scintillant de l’hiver 1998».

Alors, si le froid et le verglas s’abattent sur nous comme à l’hiver 1998, vous saurez vers quoi vous tourner. 

Surveillez la prochaine chronique «Les albums sacrés» le 25 janvier 2018. Consultez toutes nos chroniques précédentes au labibleurbaine.com/Les+albums+sacrés.

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