Musique
Crédit photo : www.fr-ca.facebook.com/Dolores-O-Riordan
La chanteuse et musicienne a toujours su ce qu’elle voulait faire dans la vie: composer des chansons et faire partie d’un groupe. Benjamine d’une famille de sept enfants, elle s’intéresse à la musique dès l’enfance; il y a même une rumeur qui affirme qu’elle savait chanter avant de savoir parler! Enfant, O’Riordan préfère la solitude, ce qui lui permet d’écrire des paroles. Encouragée par ses parents, elle joignit la chorale de son église où elle chanta et joua de l’orgue ainsi que du piano. Par ailleurs, sa famille a toujours été très importante pour elle, spécialement sa mère, qui a su prendre la relève pour subvenir au besoin de ses frères, de sa sœur et d’elle lorsque ce dernier ne fut plus en mesure de travailler à cause d’un grave accident de moto qui le laissa lourdement handicapé. «Ode To My Family» est, par ailleurs, un hommage à leur attention.
Des débuts fracassants
Son intérêt pour le chant grégorien se transforma après qu’elle apprit à jouer de la guitare, à 17 ans, ce qui lui permet de se découvrir une préférence pour le rock. Alors qu’elle était à la recherche de collègues-musiciens pour former un groupe, la chance lui sourit: la formation The Cranberry Saw Us était à la recherche d’une voix féminine afin de remplacer le chanteur, qui venait de les abandonner. Après une première audition, les membres lui demandèrent de retravailler le démo «Linger». Elle réécrivit les paroles et y ajouta sa voix. Satisfaits par cette nouvelle version, elle se fait recruter. Le quatuor raccourcira son nom et deviendra The Cranberries. Le reste, comme vous le savez, appartient à l’histoire de la musique.
Everybody Else Is Doing It, So Why Can’t We? paraît en 1993 et le groupe gagna en notoriété grâce à ses tournées et à MTV, qui passa en boucle la superbe ballade «Linger» et «Dreams». Les radios universitaires firent d’eux leur chouchou, mais leur attrait dépassa rapidement ce créneau, car leurs chansons offrent d’irrésistibles refrains pop, et ce, malgré leur côté plus rock. Le groupe passe beaucoup de temps sur la route et fut en mesure, étonnamment, de lancer un deuxième opus très rapidement: No Need To Argue (1994), qui contenait l’incroyable succès «Zombie». En plus de mettre de l’avant une formule passive agressive, musicalement parlant (qui était une nouveauté très en vogue au début des années 90), la magnifique voix de la chanteuse irradie par son intensité, et les paroles constituent un merveilleux écho de la douleur engendrée par un attentat terroriste découlant d’une guerre lente et douloureuse entre les Irlandais et les Anglais. Cette émotion vive est toujours palpable lorsque l’on écoute la chanson aujourd’hui. Soulignons les excellents titres «Ridiculous Thoughts» et «Ode To My Family», qui sont également sur ce disque. On estime à plus de 40 millions le nombre d’albums vendus depuis leurs débuts.
Nuages à l’horizon
Heureuse d’avoir réalisé son ambition professionnelle la plus chère, la chanteuse à la voix de mezzo-soprano constate cependant que le succès vient à un prix. L’anxiété, le sentiment d’isolation qui accompagne la célébrité, et un drame personnel particulièrement difficile et qui l’a hanté toute sa vie (abus sexuels de la part d’une personne de confiance, de l’âge de 8 ans à 12 ans) finissent par miner son moral; elle développe une dépendance à l’alcool et aux somnifères.
La situation s’envenime: plusieurs ouï-dire persistants laissaient sous-entendre que les relations entre les musiciens de la formation étaient très mauvaises et que les membres étant jaloux de l’attention accordée à la chanteuse. Certains journalistes accusèrent même le groupe de ne plus avoir aucune chimie sur scène, que l’attrait envers The Cranberries réside uniquement sur le talent de la chanteuse. Les rumeurs s’intensifièrent: O’Riordan ne songerait qu’à quitter The Cranberries au profit d’une carrière solo.
Le quatuor tint bon et retourna en studio. En 1996, To the Faithful Departed est lancé et n’a pas la portée escomptée, se vendant significativement moins bien que les deux prédécesseurs, et ce, malgré l’excellente pièce «Salvation». La popularité de la formation commence à pâlir. Bury the Hatchet (1999) et Wake Up and Smell the Coffee (2001) ne suscitent que très peu d’intérêt de la part des admirateurs, et encore moins des critiques musicaux, qui reprochèrent au groupe de manquer de profondeur. On put lire également que les paroles de O’Riordan tombaient à plat et que c’est le jeu de guitare qui permettait à The Cranberries de survivre, avec peine.
Les Irlandais n’arriveront pas à corriger le tir, et le chant du cygne arriva peu après avec la compilation de leurs meilleurs succès (1992): Stars: The Best of 1992-2002.
Un malheur ne vient jamais seul…
Le groupe annonça sa séparation, prétextant l’état de santé de Dolores. Celle-ci tentait de reprendre le contrôle de sa vie, soigner son anxiété et son anorexie, mais surtout de s’occuper de sa famille. Cette dernière croyait que son amour pour la musique avait complètement disparu. Cependant, l’amour maternel lui procura un sentiment de bonheur qui lui a redonné envie d’essayer encore une fois. C’est ainsi qu’elle fera paraître, en tant qu’artiste solo, deux offrandes: Are You Listening? (2007) et No Baggage (2009).
Malheureusement, cette paix intérieure se fractura en 2013: une tentative de suicide par surdose, un divorce douloureux, un incident alors qu’elle voyageait en avion (où elle agressa un agent de bord et un agent de sécurité) pour se conclure par un passage en psychiatrie où elle recevra un diagnostic de bipolarité, sans oublier le décès de son père… Pourtant, après cette descente en enfer, elle semblait prendre du mieux: elle passait du temps avec ses enfants et avait plusieurs projets, dont le groupe D.A.R.K. (avec son nouvel amoureux) et le retour de The Cranberries.
En effet, le groupe avait recommencé à offrir des concerts et lança Roses (2012). En 2017, un nouvel album, qui contient de vieilles chansons revisitées ainsi que trois nouvelles chansons parut, intitulé Something Else, et une nouvelle tournée était annoncée. Cependant, une blessure au dos l’empêcha, au mois de mai dernier, de donner nouveaux spectacles avec la formation.
Cela ne semblait qu’être qu’un accroc sur ce qui avait les allures d’un deuxième souffle pour leur carrière: au moment de son décès, elle était à Londres pour enregistrer de nouveaux morceaux en studio pour D.A.R.K. et The Cranberries.
Un vide immense
Âgée d’à peine 46 ans au moment de son décès, les admirateurs ne peuvent s’empêcher de se demander ce que le futur réserverait à la formation de Limerick. Et, pour cause, le mélange d’émotions derrière la voix de Dolores, de structures mélodieuses et de paroles simples, mais justes, avait un je ne sais quoi d’enchanteur. Un vécu auquel on pouvait s’identifier, que cela soit une peine d’amour, la peur de perdre le contrôle sur sa vie, ou encore certaines polémiques politiques qui bouleversaient les gens les plus apathiques. Les musiciens semblaient très terre-à-terre, très humains. Nous les sentions intègres, de vrais amoureux de la musique et non des personnes qui cherchaient la gloire. Pour la scène musicale, c’est son accent irlandais et les racines celtiques qui séduisent, devenant une source d’inspiration pour le pays.
De plus, pour les adolescents de l’époque, cette période était particulièrement symbolique. En plus du sentiment contestataire qu’ils éprouvaient à l’égard de leurs parents, c’était la société de façon générale dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas. En ce sens, la musique des années 90 était la réplique face à ce malaise. Cette décennie était la réponse aux extravagantes années 80 où personne n’aurait pu se faire accuser de porter trop de maquillage ou de vêtements trop tape-à-l’œil. Le fait de voir une chanteuse qui ne semblait guère intéressée par son image, avec ses cheveux courts, ses bottes de combat, ça, c’était un vrai vent de fraîcheur. Plusieurs jeunes femmes se sentirent inspirées devant sa personnalité authentique, constatant qu’elles pouvaient, elles aussi, s’émanciper du rôle dit traditionnel et assumer leur côté «garçon manqué».
Dolores O’Riordan avait une voix de fée, élévatrice et lumineuse par moments, toujours vive. Une porte ouverte sur les jolis paysages irlandais, les gens qui l’entouraient, les tristesses ordinaires, l’amour, la famille, le rêve… Un timbre et une sensibilité uniques, une douceur et une force qui a marqué une génération.