MusiqueLes albums sacrés
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L’Écosse fait belle figure au niveau de la musique indie dans les années 1990, notamment grâce à l’héritage laissé par des groupes tels The Jesus & Mary Chain, Primal Scream et Teenage Fanclub. De plus, le long-métrage Trainspotting (1996), dont la bande sonore a un impact important, amène plusieurs mélomanes à se tourner vers l’Écosse, où plusieurs groupes voient le jour au milieu de la décennie (Mogwai, Travis, The Delgados, etc.). Cette scène, qui n’en est pas vraiment une, car aucun de ces groupes ne sonne comme l’autre, comprend évidemment Belle and Sebastian. Leur son est représentatif de l’état dans lequel se trouvait Murdoch lorsqu’il a composé les pièces: doux, fragile mais ô combien sincère.
Alors que plusieurs artistes ajoutent des couches de son à leur œuvre à la même époque, Murdoch et sa bande six musiciens optent plutôt pour l’effet inverse: on tamise les lumières au lieu d’y aller dans la surbrillance. Les comparaisons avec The Smiths ne sont pas un hasard, car le groupe opère un peu de la même façon, soit en allant à contre-courant de la grande mouvance musicale. La musique est axée sur les guitares, majoritairement acoustiques, et les thèmes des chansons tournent souvent autour de la sexualité maladroite, le désir et des personnages qui portent une grande tristesse. De quoi rappeler Morrissey. De plus, tout comme le légendaire chanteur de Manchester, les rumeurs d’homosexualité de Murdoch font aussi jaser. Murdoch démentira ces rumeurs par la suite, affirmant qu’il est tellement hétérosexuel que ça en est ennuyant.
Parlant d’ennui, la condition physique précaire de Stuart Murdoch pendant de nombreuses années fait qu’il demeure loin de tout ce qui est alcool ou drogue. De ce fait, il ne représente aucunement le côté débauché des rockstars ou bien flamboyant des vedettes de la pop. Toutefois, Murdoch possède un don indéniable, soit celui d’écrire des chansons pop au charme quasi enfantin irrésistible. If You’re Feeling Sinister prend d’ailleurs un maigre dix jours à enregistrer, alors les pièces possèdent toutes une spontanéité et une naïveté qui auraient sans doute été moins présentes si le groupe s’était éterniser en studio.
If You’re Feeling Sinister est un album d’envie et de désir. On le sent dès la première pièce, la ravissante «The Stars Of Track and Field», où le narrateur exprime son admiration pour ces athlètes qui font notamment de la course: «The stars of track and field are beautiful people», chante-t-il. La mélodie est instantanément mémorable et le son du groupe est immédiatement établi. «Seeing Other People» poursuit et semble être à propos d’un jeune adolescent qui semble être délaissé même s’il voudrait tomber éperdument amoureux: «You’re kissing your elbow/You’re kissing your reflection». Difficile de trouver des phrases qui expriment mieux la solitude. Il y a sans doute quelque chose de très autobiographique dans ces lignes.
Les pièces les plus solides arrivent au milieu de l’album. Tout d’abord, «Like Dylan in the Movies» possède un brin de nostalgie: «If they follow you / Don’t look back / Like Dylan in the movies / On your own / If they follow you / Tenderly you turn the light out in your room». Encore une fois, la solitude est omniprésente, mais on y retrouve souvent un certain confort. D’ailleurs, les chansons sur If You’re Feeling Sinister créent cet effet de réconfort, comme une couverte chaude que l’on retrouve en plein hiver. Avec ses arrangements piano-cello-guitare acoustique, «The Fox in the Snow» est exactement cette grosse douillette apaisante. Meilleure que tout est probablement «Get Me Away from Here, I’m Dying», chanson pop incroyable qui s’avère être un véritable délice pour les Oreilles: «Oh, I’ll settle down with some old story / About a boy who’s just like me / Thought there was love in everything and everyone / You’re so naive». On chante et on rechante.
La plupart des chansons sur l’album donnent dans des thèmes tout simples à propos d’adolescents angoissés ou de garçons qui tombent en amour avec des filles au parc d’amusement ou dans les autobus. Cette simplicité se reflète aussi dans l’attitude de Murdoch et du groupe en général, eux qui n’embarquent jamais dans le jeu médiatique, ne donnent que très peu d’entrevues et ne prennent pratiquement aucune photo. Après le narcissisme démesuré de quelques artistes Britpop, le contraste que provoque Belle and Sebastian est assez ahurissant. Un trait de personnalité qui ajoute au mythe du groupe.
Le groupe ne connaîtra que très peu la gloire, sauf qu’ils remporteront un Brit Award pour leur album suivant, The Boy with the Arab Strap (1998), qui vendra beaucoup plus que son prédécesseur. La formation de Glasgow livrera régulièrement des albums solides par la suite, devenant une espèce de valeur sûre dans le monde de la pop indie. Leur meilleure collection de chansons se trouvera toutefois toujours sur If You’re Feeling Sinister. «If you’re feeling blue / Then write another song about your dream of horses», chante Stuart Murdoch sur la dernière pièce, «Judy and the Dream of Horses».
Comme quoi les temps sinistres ne sont pas si dramatiques que ça.