Un témoignage qui nous fait revivre des temps médiatiques révolus: «Passé composé» d’Anne Sinclair – Bible urbaine

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Un témoignage qui nous fait revivre des temps médiatiques révolus: «Passé composé» d’Anne Sinclair

Un témoignage qui nous fait revivre des temps médiatiques révolus: «Passé composé» d’Anne Sinclair

La biographie personnelle et professionnelle d’une célèbre journaliste française

Publié le 6 août 2021 par Agnès-Irène Orsini

Crédit photo : Tous droits réservés @ Éditions Grasset

Que retenons-nous de la brillante Anne Sinclair? Aux yeux du monde entier, elle a été l’épouse traquée qui a gardé le sourire en pleine affaire de scandale sexuel autour de son mari, alors directeur du Fonds Monétaire International (FMI). Bien qu’il évoque aussi cet épisode, le livre Passé composé nous donne surtout à lire les souvenirs de la femme journaliste ayant interviewé avec brio les plus grands de ce monde. Elle a imprimé sans conteste sa marque à son époque.

De la «gentille fille» à la femme journaliste

Née dans une famille aisée, Anne Sinclair a vécu une enfance dorée dans un très chic quartier de Paris, entre un père qui l’adorait et une mère avec qui elle a entretenu toute sa vie des relations complexes. Son grand-père, galeriste d’art avisé, était l’ami de Picasso, et son fils Claude jouait avec elle.

Dans son livre, on apprend avec amusement qu’elle redoutait grandement que ce génie de la peinture n’en vienne à faire son portrait en version déstructurée.

À 10 ans, alors qu’elle était encore enfant, Anne s’est passionnée pour les émeutes en Algérie en écoutant la radio. C’est là qu’elle situe la naissance de sa passion pour l’observation et l’analyse de l’information.

«Femme, mère, Française, juive, de gauche, journaliste», ainsi se définit Anne Sinclair. Ce sont toutes ces facettes qu’explore cette autobiographie riche et que l’on peut croire sincère, même si elle reste incontestablement dans la retenue.

Derrière la journaliste rigoureuse et incisive que l’on imaginerait volontiers pleine d’assurance, on découvre une femme qui se qualifie de façon surprenante de «peu audacieuse» et souffrant d’une anxiété qui lui donne un besoin constant d’être rassurée.

Elle déteste l’expression «gauche caviar», mais peut reconnaître qu’elle lui correspond quand même un peu. Elle dénonce sans relâche l’antisémitisme, affiché ou latent.

7/7: de Gorbatchev à Madonna, les entrevues marquantes d’un rendez-vous d’actualité devenu culte

De ses débuts à la radio, elle raconte à la fois ses mésaventures de novice et son ascension. C’est toutefois la télévision qui a amené une grande notoriété à Anne Sinclair et à son regard bleu azur, par le biais du magazine d’actualité 7/7 qui, chaque semaine à 19 h le dimanche, ponctuait le week-end d’un rendez-vous médiatique très attendu.

Pendant une heure, elle y interviewait les plus grandes personnalités françaises ou étrangères des mondes politique, culturel, médiatique. Elle nous partage de nombreuses anecdotes sur ses invités. L’interview avec Gorbatchev, juste avant la chute de «l’empire» soviétique qui se fissurait inéluctablement, est devenu un témoignage historique.

Dans un autre registre, Madonna a été l’une de ses invitées les plus célèbres mais, malgré l’audience record, Anne Sinclair relègue l’émission au rang des ratages. La star –  bizarrement accoutrée – n’avait visiblement pas été informée de la teneur du magazine où l’on sollicitait les réactions de l’invité.e à l’actualité de la semaine, et n’avait pratiquement rien d’intéressant à dire.

On peut retrouver trace de ces diverses émissions sur Internet, et il est vraiment amusant d’en découvrir le récit des moments hors antenne et la perception de l’auteure elle-même. Et ce, d’autant que la liste des invités est impressionnante: de Paul McCartney au roi Hassan II du Maroc, en passant par Jeanne Moreau, Woody Allen, Yehudi Menuhin, Kirk Douglas et tant d’autres politiques, artistes et intellectuels de premier plan!

Les années 1970 à 1990, une période clé pour Sinclair qui s’impose et acquiert une grande légitimité

La journaliste devenue vedette explique bien les difficultés qu’elle a rencontrées, alors qu’elle menait à la fois une vie de famille et une carrière professionnelle trépidante. Toutefois, elle n’évoque qu’assez rapidement les barrières professionnelles qui se dressaient devant les femmes souhaitant réussir dans le monde audiovisuel.

Elle nous relate à l’occasion certaines réactions misogynes d’un supérieur hiérarchique ou d’un invité (Jacques Chirac, en l’occurrence), mais affirme plutôt avoir bénéficié d’un «privilège de minorité», les journalistes femmes étant peu nombreuses à traiter d’économie, de politique ou d’affaires internationales.

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 Le «chapitre impossible», ou le séisme causé par le scandale DSK

Anne Sinclair ne pouvait éluder l’épisode de mai 2011 qui a exposé son ex-mari et sa famille aux médias du monde entier. Dominique Strauss-Kahn – désigné par ses initiales DSK – était alors directeur du Fonds Monétaire international. Accusé d’agression sexuelle, de tentative de viol et de séquestration par une femme de chambre du Sofitel de New York, il a été arrêté à l’aéroport JFK de New York. Il s’est retrouvé, le lendemain matin, à la une des chaînes d’information du monde entier qui faisaient tourner en boucle les images de cet homme puissant, menotté et encadré par deux policiers. Des semaines de traque médiatique s’en sont suivies.

Anne Sinclair évoque cette période très douloureuse en gardant un ton mesuré, sans invective à l’égard de son ex-compagnon, même si on la sent flouée et stupéfaite. On n’y trouve aucun détail graveleux ni révélation, juste le ressenti d’une femme très digne qui a fait face à cet épisode scabreux et aux autres affaires troubles du même ordre qui ont suivi. Anne Sinclair affirme haut et fort qu’elle n’en savait rien auparavant et qu’elle n’avait rien vu venir. Ce chapitre, l’avant-dernier de l’ouvrage, est ainsi dénommé «le chapitre impossible».

Elle a traversé cette période avec courage, comme si elle courait sous les bombes pour rester en vie et elle avoue en être sortie «couturée de partout».

«150 000 unes de journaux dans le monde couvriront cette affaire d’avant #MeToo. Avec tous les ingrédients qui lui donnaient une explosive dimension sociale: l’homme blanc, riche et puissant face à la femme noire, pauvre et immigrée.» 

Anne Sinclair a-t-elle eu raison de surmonter ses réticences à écrire son autobiographie? 

Anne Sinclair pensait qu’elle ne se livrerait jamais à cet exercice qu’elle jugeait vain et narcissique. Elle a finalement profité du temps du confinement pour mettre en forme ses souvenirs. On peut s’en réjouir: j’ai lu son ouvrage avec empressement et trouvé les anecdotes qu’elle relate tour à tour amusantes, intéressantes, voire émouvantes.

Elle offre un recul utile sur certains événements de l’histoire, mais aussi sur les évolutions de la pratique du journalisme et de la circulation de l’information au cours des dernières décennies. Je regrette juste un peu que la «réserve» qu’elle a volontairement gardée et calibrée ait parfois pris le pas sur le partage, même si je comprends son état d’esprit en écrivant ce livre.

J’aime beaucoup le message positif que cette femme brillante et solide nous livre en fin d’ouvrage. Rentrée brisée des États-Unis et ayant pris un nouvel envol professionnel, elle est, à l’âge de 64 ans, retombée très amoureuse du distingué Pierre Nora.

Elle évoque l’émerveillement d’un nouvel amour, me donnant l’envie de sourire et d’aller de l’avant en refermant le livre.

Passé composé d’Anne Sinclair, Éditions Grasset, 247 pages, 27,99 $.

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