LittératureDans la tête de
Crédit photo : Belfond, 10/18
Les thèmes récurrents: les souvenirs, la musique et l’érotisme
La bibliographie d’Haruki Murakami est pour le moins colossale: de l’année 1979, où il fera paraître son unique roman jamais traduit en français, Kaze no uta o kike (Écoute le chant du vent), grâce auquel il a remporté le prix Gunzo, à L’incolore Tzukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, à Kafka sur le rivage, Après le tremblement de terre, 1Q84 ou encore L’étrange bibliothèque, mini livre paru au début de l’année chez 10/18, l’auteur n’a jamais su se faire désirer bien longtemps, détournant l’attention sur lui malgré son air individualiste et réservé.
Dans la tête d’Haruki Murakami, on retrouve une myriade de thèmes récurrents qui apparaissent ici et là à travers son œuvre, et qui expriment par le fait même l’inconscient d’un écrivain qui a su utiliser sa plume pour questionner les gens, les choses, et le monde.
Les souvenirs occupent d’ailleurs une place prépondérante au cœur de son œuvre, Tzukuru Tazaki l’exprimant fort bien au centre de l’œuvre homonyme, avec cette déclaration qui arrive à brûle-pourpoint dans sa quête d’un passé où il chercher désespérément une vérité: «Même si l’on peut dissimuler les souvenirs, on ne peut pas changer l’histoire», exprime-t-il avec d’un air fatidique.
Et c’est dans cet état d’esprit permanent que se retrouvent la myriade de personnages créés par Haruki Murakami, lesquels sont pour certains emprisonnés dans une dimension surréelle de laquelle il n’est pas chose aisée de sortir, comme les âmes sœurs Tengo et Aomamé dans 1Q84, ou encore ce jeune garçon dans L’étrange bibliothèque, qui a été traversé par l’idée qu’il ne reverrait jamais le monde extérieur en raison de sa naïveté et de sa soif de vérité et de savoir.
Et pourtant, ce dernier ne souhaitait qu’y emprunter des livres pour étancher sa soif de savoir, et pourtant, il s’y retrouvera prisonnier, avant d’en ressortir, à la toute fin, une métaphore imaginée par l’auteur pour symboliser le parcours initiatique du jeune garçon vers l’âge adulte. «Quand je suis seul, l’obscurité me paraît plus noire encore. Aussi noire que durant une nuit de nouvelle lune», ainsi se clôture ce court roman de 72 pages quelque peu déstabilisant par moments.
Les questionnements existentiels, la plupart du temps, forcent les personnages d’Haruki Murakami à se questionner, à creuser dans les sentiers sinueux et embrumés de leur passé, souvent de leur enfance, pour trouver des pistes de solution leur permettant d’enrayer ce qui fait ombrage à leur vie présente. Aomamé, désorientée et égarée dans cet univers à la Georges Orwell, se questionne sur les motifs l’ayant obligé à se retrouver de l’autre côté du miroir de la réalité: «[…] Je pourrais revoir Tengo. Telle est la raison pour laquelle j’existe dans ce monde. Ou, à rebours: telle est l’unique raison pour laquelle ce monde existe en moi. C’est une sorte de paradoxe, comme une image reflétée à l’infini dans des miroirs qui se font face. Je suis une part de ce monde, ce monde est une part de moi».
La musique occupe également une place fondamentale au cœur de son œuvre, Harumi Murakami appréciant à sa juste valeur la musique classique entre autres. Il n’est pas rare, qu’au détour d’un chapitre, que l’un de ses personnages ait l’envie d’écouter un morceau, ou encore qu’il soit confronté à l’écoute d’une pièce dans une situation particulière de son quotidien. Il suffit de se remémorer de la Sinfonietta du compositeur tchèque Janáček qu’Aomamé entend pour la première fois de sa vie à bord du Toyota Crown Royal Saloon, alors que sa vie allait carrément bousculer de l’autre côté de la réalité, de l’an 1984 à l’an 1Q84.
Bien plus qu’une simple fantaisie de son auteur, ici, la pièce classique, créée en 1926, est un déclencheur narratif qui propulse la douce moitié de Tengo dans l’univers surréaliste de 1Q84, où un flou temporel nous éloigne de la réalité acquise. «Est-ce moi qui suis devenue folle, ou est-ce le monde? L’un ou l’autre. J’ignore laquelle de ces propositions est juste», se questionne-t-elle.
Il serait dur aussi de passer outre la dimension érotique des histoires d’Haruki Murakami, qui peinturlure ses récits d’une couche de sensualité parfois excitante, parfois trouble, au point de rendre son lecteur quelque peu inconfortable. Que ce soit Tzukuru Tazaki qui fantasme en revoyant les filles du five club lors de sa seconde année d’université, Blanche, Haida ou Sara, remarquant «une érection parfaite, inébranlable», ou encore cette nuit toute en sensualité où Tengo fit l’amour à Fukuaéri, avec ses seins jolis et parfaits, toutes ces allusions laissent planer en nous des images coquines et sensuelles.
À l’inverse, j”ai gardé en mémoire une scène récurrente et limite déstabilisante où Tengo, alors un poupon toujours pas encore en âge de converser, revoit cette image, du haut de sa bassinette, d’un homme suçant les seins de sa mère avec vivacité. Certes, il est troublant, pour un lecteur, de savoir que la mémoire d’un aussi jeune être puisse être imprégnée de cette imagerie érotique, et il est d’autant plus étrange que cette scène mentale joue souvent dans la tête du jeune homme, sans pour autant lui apporter de clés en matière de compréhension…
Ainsi Haruki Murakami se joue en quelque sorte de son lecteur: il aime brouiller les pistes avec des images mystérieuses de leur inconscient qui questionnent, qui font froncer les sourcils, qui forcent le lecteur à reposer le livre pour essayer de voir clair dans tout cela. Sauf qu’à plusieurs moments, il semble que seul l’auteur soit en face de la vérité, si vérité il y a, bien sûr.
Saviez-vous que l’univers de Murakami avait inspiré des créateurs de jeux vidéo? Les détails à la page suivante!