LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Jean-François Dupuis
Vanessa, tu détiens un doctorat en création littéraire de l’Université de Sherbrooke, où tu as également enseigné à titre de chargée de cours, et présentement, tu enseignes la littérature au cégep. On est curieux de savoir: d’où t’est venue la piqûre pour les livres?
«Mon intérêt pour les livres vient de mon enseignant au collégial, René Robitaille, qui faisait des flèches sur l’ensemble du tableau et nous parlait des œuvres avec un grand étonnement. Je conserve peu de souvenirs de son analyse de L’Écume des jours de Boris Vian, encore moins de sa technique de dissertation explicative. Mais je me souviens qu’il nous faisait écrire des poèmes, nous apprenant à mieux saisir le rapport entre les mots.»
«Parfois, il prononçait une phrase sans lien avec la théorie, ou nous révélait que, chaque matin, il se réveillait avec un livre de poésie à la main. J’observais cet homme avec beaucoup de curiosité; il me semble avoir saisi très tôt qu’il y avait quelque chose de plus grand que lui derrière sa personnalité. En m’investissant dans des études en lettres, j’ai voulu savoir de quoi il s’agissait.»
«Aujourd’hui, j’ai réintégré le cégep comme enseignante. J’essaie de ne pas oublier cette personne bienveillante qui allait prendre sa retraite l’année suivante et qui avait eu le mérite de faire surgir une étincelle avant de nous imposer des cadres restrictifs.»
Nous avons pu lire que tu «poursuis une réflexion sur la hantise dans l’acte d’écriture». Peux-tu m’en dire plus à ce sujet: en fait, que cherches-tu exactement à percer à travers cette quête de sens?
«Dans l’écriture, tout se passe comme si le “qui je suis” initial, que veulent généralement comprendre les poètes lorsqu’ils souhaitent questionner l’existence, se substitue en “qui me poursuit” à l’instant où les vers sont formulés.»
«Comme mon processus créatif est intimement lié à cette intuition de hantise, je convie la figure des spectres dans mes réflexions pour penser la vie par rapport à la mort. Ces mêmes spectres surviennent dans un entre-deux où l’artiste possédé se retrouve pris dans le détour des choses par un ailleurs qui tente de se rapprocher.»
«J’essaie d’accueillir ce même retour dans la création, car je pense que l’écriture ne s’apprend pas par soi-même, mais par la volonté de recevoir la spectralité dans un espace – ici, le livre de poésie –, et de laisser les revenants nous apprendre à écrire.»
«Par cette quête de sens, j’ignore encore ce que je cherche à percer, peut-être parce que le mystère m’apparaît tout aussi fécond que les réponses.»
Le 26 octobre prochain, ton premier livre Les Miraculeuses paraîtra aux Éditions du Noroît. Peux-tu nous parler de ce titre énigmatique, de sa signification, et finalement nous parler de ton processus créatif à travers l’écriture de ce recueil de poésie?
«Les Miraculeuses sont celles qui choisissent maintenant l’unité au lieu de la division, celles qui ont quitté l’obscurité pour accéder à la lumière, celles qui ont émergé des profondeurs pour renaître au grand jour sous une nouvelle forme.»
«Le titre est révélateur de leur traversée vers une existence commune, puisqu’au départ, il y a une seule Miraculeuse (qui est d’ailleurs une figure fantomatique exemplaire du processus créatif de la hantise énoncé ci-haut). Cette morte-vivante accompagne l’énonciatrice, qui avance à tâtons dans sa quête initiatique, si bien qu’on ne distingue plus clairement les frontières entre les deux femmes.»
«Vers la fin du livre, la femme spectrale lui laisse le soin de cette collectivité, ce qui m’invite à dire que le titre Les Miraculeuses représente un parti pris pour la vie et pour ce “nous” que la narratrice a mis tant de mal à nommer.»
Si tu es partante, on aimerait beaucoup que tu nous présentes un extrait de ce livre qui t’interpelle particulièrement, car on aimerait offrir la chance à nos lecteurs d’apprivoiser ta plume avant une plongée dans ton univers. Et puis, si tu pouvais nous expliquer les grandes lignes derrière sa création, ce serait la cerise sur le gâteau!
«existe-t-il encore une quiétude
pour modérer ton tremblement
tu opposes à la présence heureuse
ton incompétence
tu veux esquiver la descente
du bas du corps
mais les lignées foutues
montent la garde
entre tes cuisses
y a-t-il un seul poème
qui ne raconte pas
l’agitation irrépressible de ta chute»
«Cet extrait montre bien l’énonciatrice des Miraculeuses, à la fois divisée et apeurée par le trou dans son ventre. Elle n’arrive pas à être heureuse, même si elle y aspire, sans doute inconsciemment. Le vide au creux de ses entrailles l’empêche de penser l’héritage et de donner naissance. Dans ce poème, on fréquente sa chute perpétuelle, aussi synonyme de sa descente au cœur de la blessure, et ce, avant que la lumière de l’aube ne la trouve.»
Et pour finir, si tu pouvais remonter le temps et côtoyer un poète ou un cercle de poètes que tu as longtemps admiré – et que tu admires toujours autant, à quelle époque souhaiterais-tu te retrouver, et surtout, avec qui espérerais-tu partager un repas?
«Je ne désirerais pas faire ce retour dans le temps. Les poètes que j’admire ont parfois été voués au silence par leur époque, comme c’est le cas d’Anna Akhmatova en Russie entre 1927 et 1936, alors qu’elle vivait sous le régime de terreur stalinien et assistait à l’arrestation de ses camarades. Lire Le roseau, ses poèmes écrits de 1924 à 1941, en étant moi-même en sécurité, me permet d’apprécier cette œuvre grandiose où la voix se redresse enfin.»
«Je me sens privilégiée d’avoir accès à tous ces sujets poétiques qui ont capté, pour reprendre les mots d’Odile des Fontenelles, “la lumière de leur époque”, mais je suis également heureuse d’assister à ce qui s’ouvre dans la mienne.»
«Quant au repas, j’espérerais le partager avec mon petit neveu. Il y a un moment que je ne l’ai pas vu et je voudrais savoir comment s’est déroulée sa semaine à l’école.»