LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Richmond Lam
Karine, quel plaisir de faire ta connaissance! Toi qui écris tantôt des romans, tantôt des nouvelles et même des articles pour divers blogues, voudrais-tu nous dire d’où t’est venue la piqûre pour la littérature et le bel agencement des mots?
«Du plus loin que je me souvienne, ma tête a toujours débordé d’histoires que je mettais en scène partout, dans le carré de sable en faisant rouler mes petits camions ou sous une chaise du salon avec des poupées.»
«À treize ans, j’ai commencé à rédiger des mini-romans. Je me rappelle les soirées passées dans la salle à manger à noircir un énorme cahier à spirale. J’étais tellement absorbée par mon univers que même la télévision ouverte dans la pièce d’à côté ne me dérangeait pas. L’écriture, comme un bateau, me permettait de voguer sur la mer agitée de mes réflexions et mes rêves.»
«En parallèle, je m’intéressais à tous les genres littéraires: fantastique, policier, biographie, essai, classiques français, bande dessinée, etc. Et c’est encore le cas aujourd’hui, autant dans mes lectures que dans mes écrits, je ne me restreins pas à une catégorie, mais je cherche une ambiance qui me séduit et qui m’inspire.»
Tu sembles également imprégnée de la culture sud-coréenne, dans ta vie comme dans ta création: qu’est-ce qui te fascine particulièrement dans celle-ci?
«La découverte de la Corée du Sud par le biais des K-drama a d’abord été un choc. Dans Secret Garden, la première série que j’ai regardée, tout était différent des œuvres nord-américaines: les vêtements, les dialogues, le maquillage, l’éclairage, la narration. Une fois la surprise passée, j’ai analysé la structure, les thèmes et le ton des séries romantiques sud-coréennes pour comprendre comment elles me tenaient en haleine des heures durant.»
«En deuxième temps, c’est la langue coréenne qui m’a attirée. Au XVe siècle, le roi Sejong a commandé la création d’un alphabet coréen, le hangeul, aux érudits du pays. Ceux-ci ont dessiné des lettres simples et accessibles en se basant sur la position des organes de la voix. Designer graphique de formation, j’ai tout de suite admiré le hangeul qui allie parfaitement forme et fonction.»
«Au fil du temps, le goût d’en connaître davantage a grandi. J’ai donc commencé à apprendre le coréen et approfondi mes recherches sur cette culture. Pour tester une histoire semblable aux séries sud-coréennes, je me suis lancée dans l’écriture d’une nouvelle. Après avoir rédigé cent pages, j’ai compris que ma nouvelle se transformait en roman.»
Le 27 octobre, ton livre Limonade et kimchi est paru aux Éditions Druide. Au fil des pages, tu plonges ton lecteur au cœur de l’histoire d’une Montréalaise, Jade, et d’un Séoulien, Seonjae, qui se retrouvent confrontés à des barrières langagières en raison de leurs différences culturelles. D’où t’est venue l’inspiration pour «ce récit teinté d’humour [qui] redonne à la tendresse une place privilégiée dans la relation amoureuse»?
«L’idée d’un roman sentimental me trottait déjà dans la tête pendant la rédaction de ma série Rannaï. À cette époque, j’empruntais à la bibliothèque des romances de tous les genres, sans jamais trouver une histoire qui me plaisait. Je revenais donc à mes classiques de Lucy Maud Montgomery et Jane Austen.»
«Ces deux écrivaines m’ont inspiré l’humour et la tendresse, mais aussi la façon de dépeindre la vie intérieure des personnages: les joies, les peurs, les contradictions. Au contact des séries sud-coréennes, j’ai pris conscience de la force de ces qualités. Malgré la différence de culture, je m’identifiais aux protagonistes, car on partageait les mêmes questionnements, les mêmes détails de la vie quotidienne, les mêmes espoirs.»
«Finalement, lasse de voir sans cesse des scènes de discorde (et parfois de violence) pimenter les relations amoureuses au petit écran et dans la littérature, j’ai fait le pari de baser l’intrigue sur les conflits intérieurs de Jade et Seonjae, et non sur leurs disputes. Car, pour moi, le couple doit être un espace de sécurité où on peut être soi-même sans crainte de représailles.»
Il paraît que, pour ce roman, tu t’es inspirée librement de drames sud-coréens. Voudrais-tu nous donner quelques exemples d’œuvres qui ont eu un impact sur ta création, et nous en dire plus sur la façon dont ils ont influencé ton écriture et ton histoire?
«Les séries sud-coréennes ayant le plus marqué mon imaginaire à cette époque sont It’s Okay, That’s Love, Goblin: The Lonely and Great God et Secret Garden.»
«Ces histoires ont eu un impact à plusieurs niveaux sur mon roman. J’ai utilisé leur structure de l’intrigue en deux temps: la première partie est centrée sur l’amour naissant, et la seconde aborde une dimension plus grande que le couple, en lien avec la famille, le travail, la maladie ou un problème social. J’ai aussi adopté le ton intimiste qui livre les réflexions de la femme et de l’homme, en alternance.»
«Par contre, j’ai noté les composantes qui me dérangeaient afin d’éviter de les reproduire; un de ces éléments étant la violence envers la femme qui, comme en Amérique du Nord, subit les relents d’une culture patriarcale où l’homme bénéficie d’une valeur ajoutée aux yeux de la famille et de la société. Je désirais construire des personnages féminins et masculins qui prenaient conscience des inégalités et qui refusaient de les perpétuer.»
«J’ai visionné plus d’une centaine de séries sud-coréennes, et leurs thèmes récurrents comme prendre soin de l’autre, la santé par la nourriture, les dictats familiaux ou sociaux et la quête d’authenticité constituent la trame de fond de Limonade et kimchi.»
Si tout était possible, quel.le réalisateur.trice sud-coréen.ne aimerais-tu rencontrer autour d’un bon souper à Séoul, et de quoi parleriez-vous ensemble?
«J’aimerais rencontrer le réalisateur Kim Kyutae. De tous les K-dramas que j’ai vus, c’est sa série It’s Okay, That’s Love qui m’a le plus bouleversée. Trois jours pour m’en remettre, je n’avais jamais vécu ça! Puisqu’il compte plus d’une vingtaine de séries à son actif, je le questionnerais sur son processus créatif pour comprendre comment il construit l’ambiance authentique et poignante dans ses œuvres.»
«Aussi, je souhaiterais en savoir davantage sur la vie en Corée du Sud. Les Sud-Coréens font preuve d’une grande détermination, ils travaillent sans relâche au sein d’une nation qui change à une vitesse fulgurante. Lorsque l’équipe de Goblin: The Lonely and Great God est venue tourner des scènes dans la ville de Québec, les artisans d’ici se relayaient pour suivre le rythme effréné de leurs coéquipiers de Séoul.»
«Ainsi, je serais curieuse de connaître son opinion sur l’hyperperformance, une tendance qui devient la norme dans plusieurs pays et particulièrement en Corée du Sud. Comment entrevoit-il les dix années à venir? Mais, je m’emporte! Peut-être devrait-on prévoir deux ou trois soupers pour ce sujet…»