LittératureL'entrevue éclair avec
Crédit photo : François Couture
Joan, tu es auteur, conférencier, photographe, journaliste pigiste et… ultra-marathonien! Wow, c’est impressionnant! Parle-nous brièvement de ton parcours professionnel et de ce qui t’a motivé à porter tous ces chapeaux!
«C’est un magnifique concours de circonstances! Dès l’enfance, je m’amusais à écrire, à filmer et à faire du montage vidéo, puis est arrivée la photo avec l’avènement du numérique. Professionnellement, par contre, je travaille en informatique depuis plus de vingt ans. Même si la programmation ressemble parfois à de l’artisanat, mon besoin de créativité n’était pas comblé, et je me suis lancé dans un certificat en journalisme pour varier un peu.»
«Curieusement, c’est la course qui m’a permis de combiner toutes ces facettes. Quelques années après avoir commencé à courir autour de chez moi, j’ai décidé de combiner entraînement et transport en courant quotidiennement pour aller et revenir du travail, peu importe les conditions. Pour documenter ce que je voyais et ce que je vivais, j’ai commencé un blogue, filmé pendant un an mes déplacements, puis photographié mon environnement. Sont ensuite venus les récits d’ultramarathons, dans lesquels j’ai mis à profit les techniques d’écriture journalistique pour raconter ces mésaventures qui ne manquent pas d’arriver après quelques dizaines d’heures de course en pleine nature.»
«En combinant mes textes et mes photos, je me retrouve maintenant avec deux livres, une expo photo et des histoires à raconter en conférence!»
On l’avoue, on te connaissait déjà depuis 2016, car cette même année, tu as fait paraître le livre Ultra-ordinaire: Journal d’un coureur aux Éditions de l’Homme. À travers ce récit d’aventures, tu souhaitais présenter à tes lecteurs «une aventure humaine hors du commun et pourtant accessible à tous», afin de donner la piqûre aux gens pour la course à pied. D’où t’est venue cette passion, et où as-tu trouvé cette incroyable motivation pour l’incorporer à ton quotidien?
«Quand j’ai commencé à courir il y a une quinzaine d’années, j’étais comme tout le monde, un véritable débutant à peine capable de courir quelques kilomètres sans penser mourir. Au fur et à mesure de ma progression, je lisais tout ce que je pouvais sur ce sport nouveau pour moi, apprenant ainsi l’existence des ultramarathons, ces courses de longue haleine mesurant parfois plus d’une centaine de kilomètres.»
«À ce moment-là, la littérature s’est mise à faire défaut et je suis tombé dans l’expérimentation. Je voulais savoir ce dont mon corps était capable, avec le minimum de matériel et d’artifice. J’ai pioché dans les livres d’escalade en haute montagne, les récits de survie et l’anthropologie évolutive, pour en apprendre plus sur ce que nous sommes et pourquoi les ultras sont, finalement, humainement faisables. Sauf qu’avec trois jeunes enfants, il m’a fallu trouver un moyen de courir plus sans sacrifier mon temps en famille. La course utilitaire a été la réponse.»
«D’abord motivé par l’entraînement que procurait cette option, c’est la vidéo et la photographie qui m’ont ensuite permis d’aimer les pires conditions météo. En effet, qui dit temps pourri, dit aussi belles images! Après, les ultras sont devenus plus faciles à encaisser.»
En mars dernier, les Éditions de l’Homme ont levé le voile sur la suite, Ultra-ordinaire 2: Odyssée d’un coureur, où cette fois tu racontes à tes lecteurs les raisons pour lesquelles tu as pris un temps d’arrêt de tes activités sportives afin de mieux y revenir. Comme tu le dis, «cinq années semées de doutes, de douleurs et de joies» ont passé, mais tu as su trouver la motivation d’entreprendre un audacieux périple de 1 135 kilomètres, de la Gaspésie à Montréal! Parle-nous de cette impulsion qui t’a motivé à reprendre la course à pied et à écrire ce livre, on est curieux!
«Impulsion? En fait, pas vraiment! Ç’a été une lente et pénible remontée! Passer de six ultramarathons en quelques mois à zéro kilomètre, c’est facile physiquement. Mentalement, par contre, j’ai vécu cet arrêt comme un échec, et la reprise n’a jamais été une évidence. Après dix mois de vide, j’ai repris sans conviction la route, courbatures en prime. Tranquillement, la forme est revenue, la photographie aussi, et de fil en aiguille, quelques années plus tard, j’accumulais à nouveau des photos et des kilomètres à un rythme effréné.»
«Plus en forme que jamais, il me manquait par contre un événement qui titille ma curiosité, bref, qui me fasse un peu peur. Fin 2019, j’ai découvert l’existence du Triple Crown of 200s, trois courses de 320 km chacune à faire en deux mois seulement! J’avais enfin trouvé comment couronner mon retour aux ultras et raconter tout ça dans un deuxième livre riche en images. C’était sans compter sur la pandémie: frontières fermées, courses annulées, j’ai décidé au dernier moment d’utiliser les vacances déjà prévues pour prendre le bus aller simple vers Percé et revenir en longeant le fleuve par la route 132. La meilleure décision de toute ma vie de coureur.»
Pour un touche-à-tout comme toi, on aimerait savoir comment tu as vécu cette dernière année, alors que la pandémie de COVID-19 a complètement chamboulé nos vies respectives! Considères-tu que ce temps passé en confinement a été bénéfique, ou ç’a plutôt été un gros défi pour toi?
«Professionnellement, ç’a été facile, car l’informatique se prête très bien au télétravail. Pour la course par contre, moi qui courais tous les jours pour aller au boulot, mon entraînement a tout d’un coup disparu! J’ai dû réapprendre à courir en rond autour de chez moi. Après quelques semaines de flottement, j’ai décidé d’explorer les pistes cyclables en me rendant de plus en plus loin dans toutes les directions. Et c’est alors que j’ai vu le fleuve comme jamais auparavant: des levers de soleil spectaculaires, de la brume, des perspectives de plusieurs dizaines de kilomètres avec le mont Royal en toile de fond.»
«Quand il m’a fallu choisir un parcours pour occuper mon été, je me suis dit que je voulais savoir à quoi ressemblait le Saint-Laurent sur presque toute sa longueur. C’est donc pour des raisons purement esthétiques que j’ai opté pour la Route verte, la terre à droite, le fleuve à gauche. Sans ce virus, jamais je n’aurais pensé à cette option. Et quand je me suis lancé, toute la communauté s’est ralliée derrière moi pour m’aider à franchir ces 1 135 kilomètres qui me séparaient du mont Royal. Un incroyable élan de solidarité probablement magnifié par la pandémie.»
Comme on aime regarder vers l’avant et rester le plus positif possible, on aimerait savoir quels sont les prochains objectifs que tu as fixés pour ton futur proche? On se doute que Joan Roch a sûrement quelques challenges (aussi fous soient-ils!) à ajouter sur sa To do de vie…! Lâche-toi lousse!
«En me lançant tête baissée dans cette aventure de deux semaines de course, j’ai découvert un monde nouveau. Pas besoin d’attendre une épreuve organisée pour courir. Il n’est pas non plus nécessaire de suivre un tracé choisi par quelqu’un d’autre.»
«En décidant moi-même du départ, de l’arrivée et de tout ce qu’il y a entre les deux, les options sont infinies. Sans oublier que je peux courir pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines si ça me chante. Soudain, les ultras semblent bien courts et contraignants!»
«Et comme je me suis prouvé que j’avais les jambes et surtout la tête assez dure pour franchir un millier de kilomètres, l’envie de tester plus long se précise. Sauf que là, plusieurs milliers de kilomètres, c’est en gros à l’échelle d’un continent. Logiquement, traverser le Canada serait la prochaine étape. Reste à trouver une route qui me plaise, car comme pour mon périple gaspésien, c’est avant tout la beauté et la symbolique du parcours qui me motive, certainement pas le trajet le plus rapide.»
«Et après ça? Eh bien, j’ai entendu parler de la plus longue ligne droite qui ne soit pas interrompue par une étendue d’eau, 13 500 km entre le Libéria et la Chine. Probablement impossible pour des raisons géopolitiques, mais bon… l’idée est tellement belle.»