LittératureLa petite anecdote de
Crédit photo : Julie Artacho
Pour ceux qui se demandent à quoi ça sert d’écrire un livre
C’est un dimanche de novembre, gris et froid, et je termine deux journées enrichissantes passées à rencontrer des lecteurs et lectrices au Salon du livre de Rimouski.
En cette dernière journée de dédicaces, le philosophe, pédagogue et écrivain Normand Baillargeon et moi-même avons animé un entretien captivant sur les liens entre la littérature et la musique, ainsi que sur l’influence de ces arts sur le développement de l’être humain.
Un sujet non seulement fascinant, mais aussi d’une grande importance que Normand et moi abordons avec la plus grande sincérité et délicatesse possible. Nous n’hésitons pas à introduire une touche d’humour, notamment en explorant la passion de Normand pour le groupe pop extrêmement influent The Beatles! Après une heure qui nous a semblé bien trop courte, nous clôturons cette brève mais intense exploration de ce vaste thème.
Je dois me hâter, car je donne une conférence-concert au piano sur le cerveau et la musique à la Maison Mère des Sœurs du Saint-Rosaire.
Alors que je me lève pour récupérer mes affaires et enfiler mon manteau, une femme d’une élégance frappante s’approche de moi. Elle se présente, m’adresse un sourire chaleureux et me félicite pour mes livres. En retour, je la remercie pour ses aimables paroles.
Cependant, sa voix devient soudainement plus discrète et elle me dit qu’elle est là pour partager une histoire avec moi.
Mon intérêt est immédiatement éveillé.
Elle commence par m’informer du récent décès de son père, qui avait atteint l’âge vénérable de 84 ans. Je lui présente mes condoléances, mais elle insiste pour partager les détails de cet événement.
Alors qu’il était hospitalisé depuis un certain temps, son père, affaibli mais toujours lucide, lui a fait une requête particulière. Il lui a demandé de lui lire un livre à haute voix. Ne pouvant lui refuser cette demande, elle lui demande lequel. Sa réponse: Le cerveau et la musique, une odyssée fantastique d’art et de science de Michel Rochon.
J’interromps la dame dans son récit pour lui demander si son père était musicien. Elle me répond que non, mais qu’il était un grand mélomane et que la musique occupait une place importante dans sa vie.
Elle poursuit son récit en partageant le fait qu’elle a consacré de nombreuses heures à lui lire mon livre. Un jour, elle parvient à la conclusion de l’œuvre intitulée «Vivre sa musique», dont les derniers mots résonnent ainsi: «La symphonie dans notre cerveau est l’une des plus grandes merveilles de la nature».
Elle dépose délicatement le livre, le contemple. Son père est calme, il semble serein. Puis, il ferme lentement les yeux.
Quelques instants plus tard, il s’éteint paisiblement, le livre que j’ai écrit devenant le dernier chapitre de sa vie.
Je suis en état de choc.
Je fais de mon mieux pour conserver une attitude posée devant cette femme déterminée à partager cette histoire.
Si je n’étais pas pressé par cet autre engagement, j’aurais volontiers prolongé notre échange autour d’un café, cherchant à comprendre les raisons qui ont conduit cet homme à choisir de quitter ce monde en écoutant mon livre.
Malheureusement, ces réponses me resteront à jamais inaccessibles.
Quelques minutes plus tard, assis dans ma voiture, j’ai éclaté en sanglots. Conduisant péniblement en direction de la maison mère des sœurs, j’étais plongé dans un état second: jamais je n’aurais imaginé que mon humble ouvrage puisse être le compagnon d’adieux à la vie.
Si le livre a été utilisé ne serait-ce qu’une seule fois à cette fin, c’est déjà bien au-delà de mes espérances en tant qu’auteur.