«La dictature du bonheur» de Marie-Claude Élie-Morin – Bible urbaine

Littérature

«La dictature du bonheur» de Marie-Claude Élie-Morin

«La dictature du bonheur» de Marie-Claude Élie-Morin

Un pessimisme qui fait du bien

Publié le 22 février 2016 par Marie-Hélène Proulx

Crédit photo : VLB Éditeur

La mode des coachs et des principes de la pensée positive est-elle allée trop loin? C'est du moins la thèse que défend avec ardeur la journaliste et recherchiste Marie-Claude Élie-Morin, avec, à l'appui, une relecture critique et originale des penseurs rationalistes et romantiques du XIXe siècle, du courant de la psychologie positive soutenu par L'Association américaine de psychologie et des vendeurs de pensée magique les plus populaires des dernières décennies.

L’auteure admet d’emblée que son combat contre la pensée positive part d’une blessure personnelle: celle d’avoir vu son père devoir déclarer forfait devant le cancer qui l’a terrassé, dès le début de la soixantaine, malgré l’idéalisme qui a nourri toute son existence. Est-ce que plus de lucidité aurait pu lui sauver la vie? Est-ce que de s’accorder le droit de sentir et de vivre librement notre souffrance pourrait nous être salutaire? C’est la question récurrente devant laquelle la journaliste opte pour la même réponse, page après page.

Sa motivation personnelle n’enlève rien au fait que son ouvrage apparaît comme une nécessité, dans un monde où, comme elle l’exprime si bien, il est presque aussi difficile de s’insurger contre le pouvoir absolu de la volonté que du bien-fondé de la vertu. Et pour donner droit de cité à ce contre-discours, elle illustre comment ce pouvoir de l’industrie de la pensée positive a pu trouver son ancrage et croître jusqu’à faire partie des discours dominants de notre société.

Voilà donc un sujet très vaste pour une courageuse, mais unique recherchiste! Sa connaissance des ouvrages de psychopop les plus vendus en Amérique, que ce soit «The Secret», «The Rules» ou «Le pouvoir de la pensée positive» impressionne. Et elle la démontre en les attaquant sous tous leurs travers, quoique ce ne soit pas là des œuvres des plus difficiles à démonter sur le plan argumentaire. Son zèle impressionne moins dans son analyse des penseurs du XIXe siècle, qui ont pu errer, mais ont néanmoins inspiré les plus grands existentialistes et psychanalystes de notre époque (lesquels sont loin d’être joyeux). Par contre, sa critique des approches de pleine conscience, de psychologie positive et de la programmation neurolinguistique est mieux amenée et un peu plus nuancée. Peut-on pour autant parler d’impartialité? L’auteure n’y prétend pas et c’est ce qui rend sa sensibilité si persuasive.

Mais il reste à espérer que ses lecteurs sauront se mettre à l’écoute de ses propos avec le recul qui s’impose. Oui, la pensée positive a pu créer de lucratifs générateurs de vœux inaccessibles. D’accord, changer sa vision des choses ne suffit pas toujours pour changer le monde. Mais il n’en reste pas moins qu’il existe tout un univers entre la pensée magique et quelques-unes des approches proposées en psychologie et en coaching afin d’aider ceux qui souffrent à parvenir à un certain contrôle, parfois nécessaire, de leur pensée. Marie-Claude Élie-Morin ne le nie pas tout à fait, mais donne quand même franchement envie de jeter par la fenêtre toutes les découvertes visant à soulager l’âme, dont certaines ont pu aider des personnes réelles à évoluer vers l’acceptation de leur vie. Et négliger cette part de l’histoire, ici à peine effleurée, serait loin d’être un grand pas pour l’humanité!

«La dictature du bonheur» de Marie-Claude Élie-Morin, VLB Éditeur, 174 pages, 19,95 $.

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