«La cité aux murs incertains» de l’écrivain japonais Haruki Murakami – Bible urbaine

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«La cité aux murs incertains» de l’écrivain japonais Haruki Murakami

«La cité aux murs incertains» de l’écrivain japonais Haruki Murakami

Une méditation littéraire qui élève l’âme et apaise l’esprit

Publié le 5 mars 2025 par Éric Dumais

Crédit photo : Belfond. Photo de l'auteur: Alvaro Barrientos / AP

Depuis que j’ai refermé le troisième et dernier tome de 1Q84, réédité chez Belfond en 2021, je suis resté fasciné, que dis-je, subjugué par l’univers fascinant, toujours entre réalité et imaginaire, mis en mots par l’écrivain japonais Haruki Murakami. Fort d’une carrière littéraire qui suscite l’admiration, l’auteur de «Kafka sur le rivage», «L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage», «Le Meurtre du Commandeur» et tellement d’autres dévoilait, lors de cette rentrée littéraire d’hiver 2025, «La cité aux murs incertains», un nouveau roman que j'ai eu énormément de plaisir à retrouver, de jour en jour, mais qui peut paraître ennuyeux et abstrait pour le commun des mortels.

«En fin de compte, ce n’était qu’un lieu imaginaire que toi et moi avions créé au cours d’un été» – Extrait de La cité aux murs incertains 

En quête du désir perdu de sa jeunesse

C’est le récit d’une idylle amoureuse entre deux adolescents de 16 et 17 ans qui s’éprennent l’un de l’autre au cours d’un été placé sous le signe du coup de foudre et du désir.

Or, l’éphémérité de la relation entre ces deux tourtereaux, qui s’éteindra du jour au lendemain par la disparition subite de la jeune fille, comme si une force obscure avait soufflé sur la flamme qui les maintenait en vie, plonge l’amoureux dans une profonde mélancolie et dans une spirale de questionnements sans réponses concrètes qui l’accompagneront jusqu’à sa vie d’adulte.

Mais où est passée cette jeune fille sans nom avec laquelle la connexion entre leurs deux êtres était si électrique et pourtant si réciproque?

«Quand je me suis assis à tes côtés, j’ai éprouvé une curieuse sensation. C’était comme si des milliers de fils invisibles reliaient délicatement ton corps à mon cœur. Même le plus ténu clignement de tes paupières ou l’esquisse d’un tremblement de tes lèvres bousculaient mon cœur.»

Une chose est sûre: leur amour était bien réel; mais ce qu’il l’est tout autant, c’est qu’elle s’est bel et bien volatilisée à jamais. Mais où?

Y a-t-il une possibilité, peut-être, qu’elle soit partie dans cette Cité entourée de hauts murs dont elle lui a tant parlé, cet été-là, ce lieu d’absolu où il fait bon vivre, du moins, plus que dans notre monde réel, «celui où les gens souffrent, vieillissent, s’affaiblissent, dépérissent et meurent […]»? Là-bas, il semblerait qu’il y ait des licornes, qu’une belle rivière enjambe trois ponts de pierre et qu’on y retrouve une bibliothèque, des tours de guet, une fonderie abandonnée, ainsi que de modestes bâtiments d’habitation collective.

Est-ce bien là qu’elle s’en est allée? Le mystère est complet.

Pour le savoir, le jeune homme, lui aussi, sans nom, va devoir trouver le moyen de se rendre dans cette Cité fortifiée pour tenter de retrouver sa belle, laquelle, dans ce monde-ci, ce monde réel, semble n’être que l’ombre d’elle-même. Ce qui expliquerait pourquoi elle a disparu subitement.

S’il trouve le moyen d’accéder à ce «lieu imaginaire», peut-être tombera-t-il sur sa «vraie» flamme là-bas et non sur sa doublure temporaire?

Car tel est le destin éphémère des ombres: une fois entre les murs de la Cité fortifiée, elles se détachent obligatoirement du corps maître et se désagrègent, jusqu’à disparaître à jamais, comme morte, si celui-ci décide d’y rester.

Une parabole sur l’étrangeté de notre époque

Les univers esquissés par Haruki Murakami sont toujours auréolés d’un voile de brouillard et de mystères qui flottent au-dessus de ce que l’on croit être la réalité, ou notre réalité, et c’est cette fine ligne entre le réel et l’imaginaire qui rend, à tous les coups, ses histoires aussi énigmatiques et poétiques à la fois.

Dans La cité aux murs incertains, une histoire d’abord parue sous la forme d’une nouvelle, mais qui n’avait encore jamais satisfait pleinement son auteur, ce dernier offre, par le biais d’une trame narrative remaniée, et étoffée, une parabole sur l’étrangeté de notre époque, où on en vient à douter et à ne plus savoir qui on est réellement, ce qu’on souhaite et où on est vraiment bien.

«Auquel des deux mondes dois-je appartenir? Je n’arrive pas à en décider» – Extrait de La cité aux murs incertains

C’est le questionnement qui occupera l’esprit du jeune homme durant de nombreuses années – de son adolescence à Tokyo jusqu’à son arrivée à Z… comme directeur d’une bibliothèque – et qui, tout au long du récit, va être en quête du désir puissant qu’il a ressenti dans les bras de cette jeune fille, mais qu’il n’a jamais retrouvé, avec autant d’intensité du moins, dans les bras d’une autre.

«Mais jamais je n’ai éprouvé de sentiment aussi intense que ce que j’ai ressenti autrefois, avec cette jeune fille. C’est-à-dire un sentiment si pur, tel qu’il vous laisse la tête vide, ou comme si vous faisiez un rêve ardent en plein jour, ou encore comme si vous étiez incapable de penser à autre chose.»

Un roman qui se déguste avec lenteur

Réflexion sur l’amour profond, l’attachement désirant et le pouvoir indéniable des livres comme source de savoir, La cité aux murs incertains est un roman qui se déguste idéalement avec lenteur, comme si chaque mot, chaque réflexion, chaque doute devait être pesé minutieusement.

Teinté d’une douce mélancolie, il m’a procuré, malgré le vide créé par l’absence d’une trame dynamique, un réel sentiment d’évasion de mon quotidien, et ce, sans jamais me laisser un goût amer en bouche.

«Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe», a dit Alphonse de Lamartine.

Et ce n’est pas faux, puisqu’à chaque fois que je lis un roman de Haruki Murakami, j’ai l’impression d’avoir l’esprit plus clair et plus léger, comme si chacune de ses histoires était, en réalité, une méditation pour l’âme.

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