Dites-moi dans quel quartier de Montréal vous habitez, je vous dirai quoi lire! [Partie 4]

    Griffintown (2012) de Marie Hélène Poitras – Éditions Alto

Une dizaine d’années après avoir publié le roman Soudain le Minotaure (2002), qui a été salué par la critique dès sa sortie, l’écrivaine Marie Hélène Poitras a fait paraître son troisième livre, Griffintown, lequel a, à son tour, reçu son lot d’éloges. Mine de rien, l’auteure a remporté le Prix littéraire France-Québec en 2013 pour cette œuvre.

Griffintown est une histoire de vengeance campée dans la métropole du XXIe siècle que nous connaissons bien. Plus précisément, l’intrigue prend place dans le quartier éponyme, le long du Canal de Lachine, où se situe la dernière écurie de chevaux de calèches utilisée par les touristes dans le Vieux-Montréal, jusqu’à leur bannissement en 2019.

On y fait la rencontre de Marie, une jeune dame aspirante cochère, et de Paul Despatie, le propriétaire de l’écurie, qui tente tant bien que mal de résister à l’embourgeoisement qui sévit dans le quartier et aux pressions montantes des promoteurs immobiliers. Un jour, Billy, son palefrenier, retrouve le corps sans vie de Paul, tué par balles et laissé pour mort dans un ruisseau.

On plonge alors dans une histoire de meurtres et de vengeances; à savoir un véritable western urbain qui nous dévoile l’univers précaire et méconnu des cochers du Vieux-Montréal, revolvers et chevaux compris. Bien que la pègre et les cowboys urbains soient au rendez-vous, on est loin des règlements de comptes en duel devant un saloon à la Lucky Luke. En effet, les règlements de comptes, à Griffintown, sont organisés de manière beaucoup plus sournoise…

Cette œuvre reflète non seulement l’amour indéniable que porte l’auteure pour les chevaux, qui a été inspirée de son propre vécu en tant que cochère, mais aussi un quartier populiste au bord de l’effondrement, pressé de toutes parts par l’essor immobilier. La plume vivante de Marie Hélène Poitras a ce pouvoir de nous transporter dans l’univers des caléchiers, aussi crasseux et énigmatique soit-il.

Je vous recommande chaudement la lecture de ce western qui est, probablement bien malgré lui, devenu presque un roman historique sur le métier de cocher.

Bonheur d’occasion (1945) de Gabrielle Roy – Éditions du Boréal

Vous l’attendiez, n’est-ce pas? Eh bien le voici! Bonheur d’occasion, ce roman qui a tant marqué l’histoire littéraire du Québec, n’a presque plus besoin d’introduction. Mais laissez-moi quand même vous glisser un mot ou deux sur ce récit qui se déroule dans le quartier défavorisé et ouvrier qu’était Saint-Henri à l’époque.

Dans son œuvre, Gabrielle Roy nous transporte dans un Québec des années 1930 qui souffre encore des conséquences économiques et sociales de la Grande Dépression. L’auteure manitobaine nous introduit aux classes prolétaires montréalaises de ces années par le biais de la vie de Florentine Lacasse et de sa famille.

Cette dernière a 19 ans et travaille en tant que serveuse dans un magasin «5-10-15», comme ils les appelaient à l’époque, pour aider à subvenir aux besoins du foyer. Comme d’autres jeunes adultes de son âge, elle rêve d’une vie meilleure, de gravir les échelons des classes sociales et… de trouver l’amour. Entre les personnages de Jean et d’Emmanuel, ses deux prétendants, on y fera également la rencontre de Rose-Anna, d’Azarius les parents de Florentine et d’autres attachantes figures du voisinage.

Bonheur d’occasion, bien qu’il s’agisse avant tout d’une histoire d’amour à trois entre Florentine, Jean et Emmanuel, a aussi pour but d’illustrer la misère éprouvée par les Québécois, francophones en particulier, durant cette sombre époque. Incarnée par la famille Lacasse qui accumule les renvois, les difficultés financières et les grossesses, la pauvreté dont les personnages tentent de se sortir est au centre de ce livre. Se déroulant sur un fond de guerre, où l’«engagement» dans l’armée est vu comme une porte de sortie possible pour se sauver de ces conditions difficiles, cette histoire de quartier est considérée comme le premier roman urbain de la littérature québécoise.

Œuvre phare de la littérature québécoise qui a connu (et connaît toujours) un grand rayonnement à l’international, Bonheur d’occasion mérite de se tailler une place de choix dans votre bibliothèque s’il n’y est pas déjà!

Malgré tout on rit à Saint-Henri (2012) de Daniel Grenier — éditions Le Quartanier

Toujours dans le quartier de Saint-Henri, voici un recueil de nouvelles qui se déroulent là où «les lignes de métro convergent». Vous l’aurez deviné: Daniel Grenier nous amène aux abords de la station Lionel-Groulx, du marché Atwater, du square Sir-George-Étienne-Cartier et dans les mêmes rues qu’ont arpentées les Florentine Lacasse et Jean Lévesque cités ci-haut.

Toutes aussi éclatées les unes que les autres, les histoires que forment Malgré tout on rit à Saint-Henri racontent les aventures d’une panoplie de personnages singuliers, de gangsters incohérents, de vieillards égarés et de chums décevants. Et entre ces nouvelles, Daniel Grenier garde un fil conducteur en y glissant des bribes et des saynètes de sans-abris du métro, qui sont à la fois des acteurs et des spectateurs de cette œuvre. 

Malgré tout on rit à Saint-Henri, qui tire son nom d’une chanson de Raymond Lévesque composée pour le film d’Hubert Aquin, À Saint-Henri le cinq septembre, paru en 1962, est un livre agréablement teinté d’humour, d’ironie et de quiproquos.

À travers cette œuvre, Daniel Grenier évoque l’ambiance du quartier qu’il a connu en s’installant à Montréal. Tous les lecteurs y trouveront leur compte entre la déception amoureuse dans Chèque en blanc et l’«adoption» d’une famille brésilienne par le protagoniste dans Les mines générales.

Les styles, les niveaux de langue et les thématiques varient, mais la qualité demeure au rendez-vous à chaque page!

Délirium Café (2019) de Roland Lapointe —La plume d’or

Déplaçons-nous maintenant de l’autre côté de l’aqueduc et du Canal de Lachine vers la rue Wellington, où se déroule l’histoire de Délirium Café, le premier roman de Roland Lapointe, un verdunois de souche.

Son livre est inspiré de l’histoire de son ancien établissement qui portait le même nom, situé aux coins des rues Hickson et Éthel, là où campe l’actuel restaurant quelque peu huppé Beba.

Délirium Café, c’est l’histoire de Sébastien, un gestionnaire qui a de l’ambition à revendre et qui réussit et grimpe les échelons avec brio. Mais à la suite d’un événement en apparence anodine, il voit ses rêves de carriériste s’écrouler tel un château de cartes. Il se retrouve en situation d’épuisement professionnel, et c’est en quête d’un nouveau défi, voire d’un sens à sa vie qu’il fait l’acquisition du Délirium Café.

Les quelque 200 pages du bouquin racontent le vécu, quoique romancé, de l’auteur, où Sébastien, son alter ego, vit deux premières années fructueuses grâce à son nouveau bistro. Puis, l’effet de nouveauté commence à s’estomper et les affaires se mettent à décliner. Ne sachant pas comment agir, le protagoniste enchaîne les mauvaises décisions qui le feront sombrer, comme d’autres avant lui, dans l’enfer de l’alcool et de la drogue.

En désespoir de cause, Sébastien fait appel à Frank, un criminel qui blanchit de l’argent, et à François, le vendeur de drogue du coin, pour sauver son entreprise et, par extension, se sauver lui-même. Alors qu’il s’enfonce de plus en plus dans des magouilles douteuses et que l’étau de la faillite se resserre, il fait la rencontre d’Isabelle, une jeune étudiante qu’il embauche à temps partiel et avec qui il se lie une d’amitié. Il ne reste qu’à savoir si cette dernière rencontre sera salvatrice, ou si elle propulsera sa descente aux enfers…

Ce roman aux allures policières et dramatiques raconte la «petite vie» d’un Verdunois et dépeint la (parfois) dure réalité des restaurateurs du quartier ouvrier, bien avant le ravitaillement de la rue Wellington et de ses environs, qui a contribué au souffle économique du coin.

Verdunland (2020) de Timothée-William Lapointe et Baron Marc-André Lévesque — Éditions de Ta Mère

Je conclus ce dossier de lectures avec Verdunland, une œuvre bien singulière sur laquelle je suis tombée par hasard dans la librairie de la grande artère de «Verdunland», justement.

L’ouvrage de Timothée-William Lapointe et de Baron Marc-André Lévesque, deux jeunes poètes montréalais, nous fait voyager dans un Verdun parallèle, disjoncté et fantaisiste. On y croise des personnages farfelus, des îles aux sirènes, un bar miniature découvert par une fourmi… Je n’en dis pas plus!

Quoiqu’il en soit, les auteurs nous font une visite guidée, carte géographique à l’appui, dans l’univers à la fois familier et inattendu de Verdunland. Au gré des vers et de l’écriture qu’ils s’amusent à «couleurer», on se fait bien vite embarquer dans leur délire fantastique, tantôt drôle, tantôt touchant. D’un conte philosophique à une épopée absurde, ce petit recueil étrange offre également par quelques clins d’œil que les locaux reconnaîtront sûrement! 

Pour une lecture qui sort de l’ordinaire, ce petit livre en vaut totalement la peine. Après votre lecture, il vous sera même possible de déambuler à Verdun, le livre à la main, pour y repérer les établissements et les personnages tirés de leur imaginaire fantaisiste!

Curieux de connaître ma sélection d’œuvres des autres quartiers de Montréal? Je vous invite à découvrir les parties précédentes, dédiées à Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, au Le Plateau-Mont-Royal ainsi qu’à Rosemont–La Petite-Patrie.