LittératureDans la peau de
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Patrice, on est très heureux de t’accueillir pour la toute première fois à cette série d’entrevues! Bien sûr, la plupart de nos lecteurs te connaissent déjà, puisqu’à de nombreuses reprises, tu leur as fait vivre un lot de sensations fortes à l’écran dans les séries télé District 31, Destinées, Mon fils ou encore Le 7e round! Dis-nous, d’où te vient cette passion pour le métier d’acteur, profession que tu exerces depuis ta sortie de l’École nationale de théâtre du Canada, en 1993 ?
«Enfant, j’étais passionné, fasciné par le cinéma, particulièrement par le cinéma américain. Je crois que ça vient de là. J’avais une préférence pour les films d’action, policier, les films qui avaient lieu dans les grands espaces comme les westerns.»
«Être acteur était une manière, pour moi, de toucher à tout, de connaître toutes sortes de “vies”, d’habiter une multitude de personnages. Mes parents m’emmenaient souvent au ciné-parc en été, au cinéma en hiver. C’était nos sorties familiales, généralement suivies d’un souper au restaurant. J’admirais des acteurs comme Jack Nicholson, Al Pacino, Brando, de Niro, Gene Hackman, Roy Scheider, Sylvester Stallone… Je voulais être comme eux.»
«Au milieu des 1980, j’ai appris l’existence de l’École nationale de théâtre du Canada et c’est devenu mon but: y être accepté pour débuter une carrière d’acteur.»
En plus d’être un vrai mordu de combats et d’endurance, comme en fait foi ton affection particulière pour les ultramarathons, à tes heures, tu es également l’auteur de deux récits et de quatre romans. D’ailleurs, on a une confession à te partager: on a littéralement dévoré le diptyque Sauvage, baby et Les Chiens, comme en fait foi cet article! Qu’est-ce qui t’a donné l’élan d’écrire des histoires sombres à teneur psychologique et qui tiennent en haleine?
«C’est le réel qui m’attire. Je ne suis pas vraiment porté vers la science-fiction ou le fantastique, et je ne crois pas que j’écrirai un jour de la comédie… C’est autant vrai dans mes lectures que dans les films que j’affectionne: c’est ce genre d’histoires que j’ai envie d’écrire. J’aime les personnes complexes, qui vivent avec des blessures profondes, qui ont une part d’ombre très forte et qui, malgré tout, tendent vers la lumière.»
«J’ai beaucoup lu Kerouac, Bukowski, Hemingway, Jim Harrison et, à une époque, j’ai lu du policier avec James Ellroy, Michael Connolly et Henning Mankell. Je ne crois pas que je me lancerais à leur suite dans le pur roman policier, mais j’avais envie de me plonger dans l’univers du thriller avec Sauvage, baby et Les Chiens. Je voulais voir si j’étais capable de créer un drame psychologique avec des personnages complexes et d’en faire aussi un page-turner. Ça m’a plu de me plier à cet exercice!»
«Mon prochain roman, celui sur lequel je travaille en ce moment même, sera dans cette veine.»
Le 17 janvier, les Éditions Libre Expression ont levé le voile sur ta plus récente œuvre de fiction, Après les tempêtes, «un roman qui explore nos parts d’ombre et de lumière», et au sein duquel on suit les tribulations de Martin O’Connor, un écrivain cinquantenaire qui vit une crise existentielle, une vraie de vraie. Par curiosité, est-ce qu’il y a une part de toi chez ton protagoniste ? On serait curieux de savoir ce qui t’a inspiré ce récit.
«Martin est un personnage de fiction. J’ai pris certains éléments de ma propre vie — notamment des lieux — pour les intégrer à l’histoire, mais ce n’est pas moi, ce n’est pas de l’autofiction. Par contre, je suis réellement allé écrire dans ce petit studio à Mount Desert Island et j’envisageais un roman avec le fantôme de Marguerite Yourcenar.»
«La maison d’enfance de Martin au bord du lac est inspirée de celle où j’ai grandi. Et comme Martin, j’avais un chien qui ne me quittait pas et qui me suivait partout, qui m’attendait le soir à l’arrêt d’autobus lorsque je rentrais de l’école. Pour le reste, j’ai inventé.»
«Je voulais parler des blessures intérieures, comme celle de l’abandon, par exemple, et aussi, d’une certaine forme de rédemption, de pardon face à soi, face à notre passé, face à nos erreurs commises.»
Comme tu le mentionnes, Martin O’Connor décide, le temps d’un automne, de se rendre à Mount Desert Island, vaste île située dans le Maine, afin de faire le vide pour se consacrer entièrement à la rédaction de son prochain livre. Là-bas, il apprend le décès de sa mère Eileen, avec laquelle s’est brouillé il y a plusieurs années. C’est donc une plongée «dans les eaux troubles de son enfance» qui l’attend à son retour dans la maison familiale. Sans tout nous dévoiler, bien sûr, peux-tu au moins nous parler du combat intérieur que vit, avec force déchirements, ton protagoniste?
«Martin est un homme blessé, presque brisé intérieurement. Il a vécu des violences dans son enfance — physiques, mais surtout psychologiques. Il s’est senti abandonné par sa mère. Elle n’a pas su — ou elle n’a pas été capable — de le protéger. C’est de la colère qu’il porte en lui, colère dirigée contre lui-même, à certains égards. Et si cette colère en a fait l’écrivain qu’il est devenu, elle a aussi ruiné sa vie personnelle.»
«Rendu dans la cinquantaine, il tente de se réparer en se retirant pour écrire. Le décès subit de sa mère ne lui donne pas le choix de s’arrêter pour reprendre ses repères. Et Jane… J’ai lu certains commentaires qui me reprochaient cette partie de l’histoire, la rencontre entre Martin et Jane, mais Jane est essentielle à Martin. C’est le calme et la douceur qui s’installent chez lui, c’est le pardon qui prend enfin sa place.»
«On pourrait pratiquement lire le roman en s’imaginant qu’elle n’existe pas, qu’elle est un fantôme dans l’imaginaire de Martin, comme les fantômes de Yourcenar et de sa mère qu’il aperçoit.»
À travers tes histoires, on a l’habitude de côtoyer des êtres brisés (Boxer la nuit), des êtres violentés (Sauvage, baby) et des êtres marqués au fer rouge par les difficultés de la vie et les horreurs du quotidien (Les Chiens). D’où te vient cette fascination pour la part sombre de l’existence?
«Comme je l’ai souligné plus haut, j’aime les personnages brisés, blessés, mais qui tentent à tout prix de survivre, de retrouver la lumière dans leurs vies. J’aime les gens qui se relèvent lorsqu’ils tombent et continuent leur chemin. J’ai une forte part d’ombre en moi, j’ai mes propres blessures, mes propres douleurs, mes “fantômes”, mais je demeure malgré cela optimiste. Comme je l’ai écrit dans Sauvage, baby, le monde est sauvage, mais il est aussi magnifique. Les deux pôles sont là, et c’est ce qui m’attire.»
«Peut-être par “défaut d’acteur”, je creuse beaucoup la psychologie des personnages, je veux savoir d’où ils viennent, pourquoi ils sont comme ils sont. Parfois, c’est même au détriment de l’histoire. Et je dois avouer que, pour moi, l’histoire importe peu en fin de compte — toutes les histoires ont pas mal été écrites —, ce sont les personnages qui me parlent. Je ne laisse rien au hasard. Je réfléchis beaucoup avant de choisir leur prénom et leur nom de famille, ceux des personnages secondaires y compris. Si un personnage fume ou boit ou chante ou danse ou court, il y a une raison à cela.»
«Je ne l’explique pas toujours, mais je sais d’où ça vient, d’où ça prend naissance. Et j’aime aussi que des êtres que tout oppose se rencontrent et s’apprivoisent.»