LittératureDans la peau de
Crédit photo : Joachim Perez
Oscar, vous avez déjà été avocat, cinéaste et chanteur, chacun de ces chapeaux vous amenant à écrire – que ce soient des plaidoiries, des textes de chansons ou des scénarios. À quel moment avez-vous eu le déclic pour la littérature, et plus spécifiquement, pour l’écriture d’un premier roman?
«À l’âge de cinq ans! Véridique. C’est à cet âge-là que j’ai commencé à écrire et que je n’ai jamais arrêté depuis. En même temps, j’avais une conscience aigüe que je n’avais rien à raconter (enfin, c’est ce que je me disais pour éviter d’avoir à essuyer le refus d’un éditeur – je donnais alors peu de crédit aux vies antérieures. ;)»
«J’ai donc embrassé, comme vous le rappelez, toutes sortes de professions, toutes étant liées à l’écriture. Quelle meilleure formation que le métier d’avocat pour apprendre à écrire: un client vous raconte par oral son histoire, il faut la mettre par écrit et ajouter quelques éléments fictionnels pour lui donner une chance de gagner!»
«Il me manquait donc certainement le courage d’oser le texte seul, sans le recours au formalisme juridique, à la musique ou à l’image qui accompagnent le texte. Et puis, voilà. Un jour, Les contes défaits s’est écrit tout seul, littéralement sous mes yeux, en gestation depuis bien trop longtemps. J’ai bien été dans l’obligation d’en accoucher.»
Dans ce fameux livre paru en 2016, vous parlez des abus sexuels sur enfants et les traumas que ça peut laisser, et dans La race des orphelins (2020), les mémoires d’une vieille dame nous plongent dans des secrets troublants de l’Allemagne nazie. Est-ce que les souvenirs liés à l’enfance et le pouvoir de l’inconscient sont des moteurs de création pour vous, en somme?
«Je pars du principe que nous avons tous vécu un trauma dans la prime enfance et que celui-ci nous accompagne, pour le meilleur ou pour le pire, tout au long de notre vie. Je parle du terme trauma au sens large. Avoir été adoré par sa mère ou son père (pour ne pas dire étouffé), par exemple, vaut à certains de longues et coûteuses années de psychanalyse…»
«Je m’intéresse surtout au pouvoir des conditionnements qui sont les nôtres: nous sommes rarement conscients de la prégnance qu’ils ont sur notre quotidien; je m’en intéresse donc à un niveau littéraire, mais aussi dans la pratique et dans l’enseignement de la méditation, qui permet d’y voir un peu plus clair et, si l’on pratique correctement, de s’en débarrasser. À l’évidence, ceux qui remontent à l’enfance sont les plus profonds, donc les plus coriaces à déraciner.»
Le 12 septembre, les éditions Plon ont dévoilé votre troisième roman intitulé Le salon. Le narrateur est un homme de 39 ans qui achète sur un coup de tête une édition à un euro de La tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert: c’est pour lui un véritable coup de foudre avec la littérature et une nouvelle perspective sur la vie. D’où vous est venue l’inspiration pour cette histoire?
«Quand on considère la gestation pendant des décennies des Contes défaits, on pourrait se dire qu’il est ardu de préciser la date de conception d’un texte littéraire. Ce n’est pas le cas pour Le Salon, dont la conception a eu lieu à Morges, en Suisse, lors du festival Le Livres sur les quais en 2020 pendant la sortie de mon deuxième roman La Race des orphelins.»
«Une lectrice m’a interpellé: “J’ai lu vos deux premiers romans, ils sont intenses; pour le troisième, vous ne voudriez pas nous écrire une histoire d’amour?” J’ai été pour le moins déstabilisé, car nombre d’auteurs écrivent très bien les histoires d’amour et les convertissent en bestsellers, et je n’en fais clairement pas partie. Cependant, je suis rentré chez moi avec cette question comme un défi que je souhaitais relever.»
«La question qui se posait alors était: “Quelle est mon histoire d’amour?” La réponse a surgi, évidente: l’amour de la littérature et des libraires qui en sont les passeurs. Mais il était hors de question que l’approche soit académique. J’ai donc trouvé un angle qui me paraissait original, qu’on pourrait résumer ainsi: “Quand un salon de coiffure devient un salon littéraire.” Cela a été mon fil directeur tout au long de l’écriture du Salon.»
Au fil des pages, on assiste à l’évolution du narrateur dans son propre cheminement personnel, mais aussi à un triangle intéressant à travers les échanges et la relation que noue l’intéressé avec, d’une part, le libraire, et de l’autre, le coiffeur. Comment avez-vous abordé le travail de création des profils psychologiques de ces personnages?
«Il me fallait un protagoniste principal vierge de toute littérature. C’est terrible à dire, mais il suffit de regarder autour de soi. Il y a quinze jours, j’étais invité à déjeuner chez des amis, et leur fils de vingt ans est venu manger avec nous et m’a abordé de la façon suivante: “Je suis content que tu sois là; j’aimerais bien que tu me conseilles un livre parce que je n’en ai jamais lu.” J’avais donc devant moi, en chair et en os, une version paroxystique de mon protagoniste.»
«Le personnage du coiffeur m’a été inspiré par Fabrice Lucchini (qui a commencé sa vie comme coiffeur), car je voulais casser les codes en vigueur qui supposent qu’un rapport passionné à la littérature ne soit que l’apanage de certains. Je souhaitais aussi, et ce n’est pas contradictoire avec ce que je viens d’écrire, investir un lieu qu’on associe rarement à la littérature et encore moins aux classiques. Sauf qu’à la différence de Fabrice Lucchini, le Fabrice du Salon, s’il a une passion réelle pour la littérature, n’en a pas une compréhension aussi fluide et bute sur Flaubert, ce qui m’offrait l’occasion d’un malentendu qui nourrirait l’intrigue.»
«Quant au libraire, qui est devenu d’une certaine façon le personnage principal du roman tant il est attachant, il procède de la fusion de deux personnes (un libraire et un professeur de français). Il représente aussi l’antidote absolue à Amazon dans la mesure où, dénué d’algorithme, il va vous conseiller un livre qu’aucune intelligence artificielle, aussi artificiellement intelligente soit-elle, n’aurait su vous conseiller.»
«En cela, il convoque, et c’est heureux, ce qu’il nous reste d’humanité dans un monde de brutes.»
Et si l’on vous demandait quel sujet vous aimeriez aborder dans votre quatrième roman, quelle serait votre réponse, là, du tac au tac?
«La méditation. Elle a d’ailleurs fait une entrée très feutrée dans Le Salon, puisque chacun de mes romans, souvent le plus discrètement possible, annonce celui qui va suivre…»