LittératureDans la peau de
Crédit photo : Marie Barnard
Martin, en tant qu’historien, tu as participé à de multiples projets de diffusion publique de l’histoire et du patrimoine. On est curieux de savoir: quand as-tu eu la piqûre pour ce domaine d’étude, et à quel moment as-tu su que tu en ferais ton métier?
«Le goût pour l’histoire me vient des étés que j’ai passés à l’île d’Orléans, berceau de l’Amérique française. J’ai décroché sur l’île mes premiers emplois d’été dans des restaurants situés dans des maisons ancestrales détenues par des passionnés de patrimoine.»
«L’histoire de ma famille m’a aussi beaucoup inspiré. Du côté de ma mère, l’ancêtre est un pionnier de la Nouvelle-France établi à l’île d’Orléans en 1650. Ma mère évoquait parfois son histoire et je trouvais fascinant qu’il ait choisi de quitter la France pour commencer une nouvelle vie et contribuer à fonder un nouveau pays.»
«Il a cependant fallu plusieurs années pour que je choisisse la profession d’historien, car j’ai d’abord cherché ma voie du côté de la littérature, du cinéma et de la photographie. L’histoire l’a emporté parce qu’elle me permettait de gagner plus facilement ma vie. Je ne l’ai jamais regretté car cette profession m’a fait vivre des expériences passionnantes et m’a procuré beaucoup de satisfaction. Elle m’a même permis de revenir à mes premières amours: la littérature, par le biais des romans historiques.»
Parlant de ça, tu as déjà fait paraître plusieurs romans à caractère historique, dont L’Enfer ne brûle pas – tome 1 des Aventures de Radisson – qui s’est mérité un prix littéraire du Gouverneur général du Canada. Qu’est-ce qui t’a donné le goût de prendre ta plume, et qu’as-tu ressenti en voyant ton travail reconnu et récompensé de cette façon?
«La littérature fait partie de ma vie depuis mon adolescence. Jeune adulte, j’étais prêt à tout sacrifier pour devenir écrivain. Mais je manquais de discipline. Je faisais flèche de tout bois et terminais rarement les projets que je commençais. J’ai donc peu publié dans ma jeunesse.»
«Lorsque mon fils est né, j’ai choisi l’histoire comme moyen plus fiable de subvenir aux besoins de ma famille. Je suis revenu à la littérature plusieurs années plus tard parce que je ne pouvais pas m’en passer. J’imagine. Cette fois, grâce à l’expérience accumulée, j’ai mené à terme quatre romans bien documentés et captivants.»
«Écrire des romans demande de la persévérance, car il faut ajouter beaucoup d’efforts à l’inspiration pour atteindre l’excellence. Honnêtement, lorsque j’ai publié mon premier roman, L’Enfer ne brûle pas, j’estimais que l’intérêt du sujet et l’investissement en temps et en énergie que j’y avais mis valait une certaine reconnaissance. Mais gagner un prix aussi prestigieux que celui du Gouverneur général a été une grande surprise, et une grande joie, évidemment, en même temps qu’un formidable encouragement à continuer.»
Le 26 mai dernier, ton livre Le Castor ou la vie – quatrième tome des Aventures de Radisson – est paru aux éditions du Septentrion. Au fil des pages, tu invites tes lecteurs à suivre les pérégrinations de Pierre-Esprit Radisson et de son compagnon Médard Chouart Des Groseilliers: on les suit notamment de Trois-Rivières à Londres, en passant par New York et Boston! Qu’est-ce qui t’a fasciné dans le parcours de ces deux hommes, au point de te lancer dans une reconstitution historique précise et pointue de leur parcours?
«J’ai passé environ 15 années de ma vie en compagnie de Radisson. Je l’ai d’abord étudié à fond à la maîtrise et au doctorat en histoire, puis j’ai raconté sa vie dans des romans. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet intérêt soutenu.»
«Radisson a tellement voyagé et fréquenté tant de cultures différentes que le suivre m’a forcé à explorer sans cesse de nouveaux sujets. Même s’il a vécu au 17e siècle, c’est aussi un homme très moderne, universel et multiculturel. Il a fait preuve d’une curiosité sans bornes et d’une grande ouverture d’esprit. Il a de plus réussi tout ce qu’il a entrepris et il l’a fait avec respect, avec une certaine bienveillance, ce qui n’était pas si fréquent à l’époque dans son milieu. Il possède donc des qualités qui m’inspirent aujourd’hui.»
«Aussi, à force de l’étudier et de le raconter, j’ai appris beaucoup de choses sur ma propre époque car les fondements de notre pays et de notre culture se consolident au 17e siècle. Grâce à Radisson, j’ai mieux compris nos racines, d’où l’on vient. C’est particulièrement vrai dans le 4e tome, Le Castor ou la vie, dans lequel Radisson assiste à la naissance de la science et de l’économie de marché. Tout cela est fascinant!»
On a également pu lire que ce roman «valorise les cultures traditionnelles autochtones et favorise un dialogue contemporain fécond et respectueux entre Blancs et Autochtones». Comment as-tu réussi, selon toi, à mettre en valeur la culture des Premières Nations à travers le récit des aventures de Radisson et Des Groseilliers?
«Radisson a passé 10 années de sa vie en contact permanent avec les Autochtones. Pour le comprendre, j’ai donc dû plonger dans l’étude de plusieurs cultures autochtones du 17e siècle. Puis, j’ai visité de nombreux sites de mise en valeur du patrimoine autochtone, souvent gérés par des Autochtones. J’en ai rencontré plusieurs. J’ai échangé avec eux. J’ai lu des auteurs autochtones. Mon but était de comprendre les cultures traditionnelles qu’a connues Radisson, qui a aimé vivre en leur compagnie.»
«À son époque, les Français négociaient de nation à nation avec les Autochtones. Leurs communautés étaient encore fortes et peu transformées. Sur les traces de Radisson, je suis parti à la rencontre de ces cultures traditionnelles pour en comprendre la valeur, pour comprendre les intérêts et les objectifs que poursuivaient les Autochtones de son temps. Ma démarche a été instructive et passionnante parce que les Autochtones d’hier et d’aujourd’hui ont beaucoup à nous apprendre, notamment sur le respect de la Nature.»
«C’est donc l’intérêt de Radisson et le mien pour les cultures autochtones traditionnelles que j’essaie de transmettre dans mes romans. J’ajoute que, comme acteur historique, Radisson a contribué au retour à l’équilibre des relations entre les Français et les Autochtones, après les tentatives de transformation radicale entreprises par les missionnaires. Radisson a contribué à instaurer une relation de partenariat fructueuse et assez équilibrée qui a perduré tout un siècle, de 1660 à 1760.»
Et alors, as-tu un prochain projet d’écriture en tête? Nous sommes curieux de savoir si un tome 5 des Aventures de Radisson pourrait voir le jour, à moins que tu ne nous entraînes vers de nouveaux horizons historiques…
«Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va, ce dicton est sans doute le plus connu – et le plus pertinent – sur le rôle de l’histoire. Je compte le mettre en pratique dans mon prochain roman qui sera contemporain et portera sur les enjeux du développement durable. La crise écologique et l’avenir de l’humanité me captivent depuis des décennies.»
«Puisque j’ai étudié les fondements de notre culture au 17e siècle – la science, l’économie de marché, le colonialisme et la domination de l’Occident, qui se cristallisent à l’époque de Radisson –, je me sens justifié, comme historien, de conclure que nous assistons au déclin de notre civilisation et à l’émergence d’une nouvelle, à la faveur d’une crise, comme cela s’est souvent produit dans l’histoire. Je compte aborder les nombreux défis qu’implique une transformation aussi considérable.»
«Je tiens cependant à raconter l’histoire de Radisson jusqu’au bout dans un 5e tome. Je m’en voudrais de ne pas mener à terme un projet si bien engagé, puisque je dois encore rendre justice à tout ce que Radisson a accompli d’admirable dans les années 1670 et 1680. Ce 5e tome conclura l’exceptionnel parcours de vie de Radisson.»