LittératureDans la peau de
Crédit photo : Julie Artacho
Marie, on commence à prendre goût à ces entrevues bisannuelles! La dernière fois qu’on a échangé, c’était en mars 2021 – le temps passe vite, hein! – autour du thème du polyamour et de Leslie, deuxième tome d’une trilogie amorcée en 2019 avec Leslie et Coco. Quoi de neuf, depuis?
«Pour le savoir, il va falloir lire mes Détournements…»
«J’ai passé les deux dernières années à écrire ce roman, après et pendant une période dépressive particulièrement pénible. Je vais aussi enfin publier C’est moi, Crotte de nez! aux Éditions de la Bagnole au printemps 2024. Les images de Sax sont magnifiques et hilarantes, et je suis absolument ravie du résultat.»
«Je travaille aussi sur une petite série intitulée Marie tout court, qui raconte la rentrée au secondaire dans une école privée de la jeune (et fofolle et gossante) Marie Demers!
«Ben oui, de l’autofiction partout, tout le temps. C’est que je ne peux pas m’en empêcher! Au secours, sauvez-moi… de moi!»
Pour celles et ceux qui l’ignoraient, tu es à la fois autrice, chargée de cours, doctorante et éditrice. Comment arrives-tu à garder le rythme et à trouver du temps de qualité, pour l’écrivaine en toi, pour t’asseoir et laisser couler le flot de tes pensées sur papier?
«Entre autres parce que je n’arrivais plus à porter tous ces chapeaux simultanément, j’ai arrêté la direction littéraire. Ma thèse est sur pause depuis quatre ans. Je compte m’y remettre après l’écriture de Coco. Mais la vérité, c’est que je n’arrivais plus – je n’arrive plus – à tenir le rythme. D’où le burn-out que j’ai dû traverser et qui s’est traduit par une longue phase d’inertie…»
«Toute ma vie se consumait dans le travail. Toute ma valeur se concentrait là. C’est tellement difficile de trouver un équilibre, de savoir quand s’arrêter, d’apprendre à dire non. Je suis qui, moi, si je ne m’ensevelis pas sous une montagne de projets et d’obligations? La réponse, c’est que je suis plein de petites choses ordinaires (que je découvre encore), qui n’ont parfois rien à voir avec la littérature.»
«Je suis une personne qui regarde beaucoup (BEAUCOUP) de shit reality shows, qui aime marcher, qui recommence à courir et à s’entraîner, qui flatte son chien (et l’assiste durant ses chasses aux écureuils), consulte sa psy, cuisine un peu, rêve de voyages, rêve tout court. Mais bon, c’était pas ça, la question.»
«Alors, comment je fais pour trouver du temps de qualité? Des fois, pour trouver du temps de qualité pour écrire, il faut ne surtout pas écrire. Vivre autre chose. Réfléchir. Bouger. Flâner. Contempler. Même perdre son temps. Pour écrire, il ne faut pas seulement écrire; il faut se donner la chance d’exister en dehors de la création.»
Le 8 novembre, les Éditions Hurtubise ont levé le voile sur Les détournements, ta plus récente parution. Et on sent bien, à lire le quatrième de couverture, que ta protagoniste est à fleur de peau, à un moment critique de sa vie. «Je le sentais: si mon corps y parvenait encore, mon cœur, lui, ne le supportait plus. Il fallait choisir entre vivre ou mourir. Non, il fallait choisir entre vivre morte ou mourir vivante». Que raconte ce roman cathartique, et qu’est-ce qui t’a donné l’élan de te lancer dans cette mer de mots agitée?
«Le point de départ, c’est justement là où on s’était laissés la dernière fois: après l’écriture de Leslie, au plus fort d’une dépression dont je ne pensais jamais me sortir. J’avais 35 ans et je n’avais plus envie de continuer. Je me sentais prise à une espèce de carrefour. Ou plutôt à un double cul-de-sac: d’un côté, un beau précipice très à pic; de l’autre, un chemin sinueux semé de douloureuses embûches, à la destination trop incertaine…»
«J’ai été très tentée de sauter dans le beau précipice, parce que je ne me sentais plus équipée pour m’enfiler des kilomètres dans des conditions intenables. Alors, je suis restée un moment plantée là, entre deux impasses mortifères, complètement pétrifiée. À un moment, j’ai commencé à comprendre que je devais m’outiller avant de repartir. Avant de choisir où j’irais.»
«Le travail est loin d’être fini, mais j’ai eu la chance de rencontrer la bonne psy pour moi. Grâce à la thérapie, j’apprends à me permettre le sur-place ou même le recul. À me creuser de nouveaux chemins. Il n’y a pas d’autre façon d’avancer. Pas d’autre façon de mourir vivante… Parce que personne ne devrait vivre mourant.»
Et dis-nous, à quel moment aurons-nous des nouvelles de Leslie, le sais-tu?
«Moi aussi je m’ennuie de Leslie! Et de Coco! C’est drôle, Coco est justement venue me visiter il y a quelques semaines. J’ai senti qu’elle me rappelait à elles, qu’elle me lançait des idées sur comment allait se dessiner le troisième et dernier tome. Mon objectif, c’est de commencer l’écriture de Coco cet hiver. Et avec un peu de chance, on aura le petit dernier sur les étalages des librairies quelque part en 2025.»
«En même temps que Coco, la peur est revenue, comme à chaque fois que je suis sur le point de me plonger dans un nouveau manuscrit. Est-ce que je vais être capable d’écrire? Est-ce que je sais encore comment? Et si c’était pourri? Si je gâchais tout? Si les mots se dérobaient?»
«Bref, vous voyez, l’angoisse est toujours aux portes. C’est presque devenu une vieille amie, que j’accueille en soupirant, comme un mal nécessaire.»
En écriture, est-ce qu’il y a un projet qui te trotte en tête depuis longtemps et qui n’a jamais vu le jour, encore? Sinon, ça serait quoi, pour toi, le projet le plus capoté sur lequel tu pourrais travailler dans un avenir rapproché? C’est permis de rêver, tu sais (et parfois les rêves se réalisent… oui oui!)
«Le projet qui me trotte dans la tête depuis le plus longtemps, c’est l’écriture d’une dystopie féministe (ou d’un recueil de nouvelles dystopiques féministes). J’ai toujours raffolé de ce créneau des littératures de l’imaginaire.»
«Sinon, j’ai commencé l’adaptation de la série Leslie et Coco pour la télévision (mais on n’en est encore qu’à l’étape de préproduction), et un autre projet télé, que j’ai commencé à pitcher, comme on dit dans le cool monde du petit écran.»
«Sauf que dans un avenir relativement rapproché, le plus gros morceau c’est de terminer ma thèse. Et j’espère en effet que ce rêve-là va se réaliser. De doctorante à docteure, yes please!»