LittératureDans la peau de
Crédit photo : Robert Provencher
Louis, nous sommes curieux de savoir: quand avez-vous eu la piqûre pour la littérature?
«Je viens d’une famille où on lisait beaucoup. À Noël, il y avait toujours des livres sous le sapin; si bien qu’à 12 ans, j’avais lu l’ensemble des romans de Jules Verne (autour de 80 titres), sans compter les bandes dessinées comme Astérix et compagnie.»
«À la fin de l’école primaire, je suis tombé sur un extrait des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand où l’auteur parlait de sa jeunesse. J’ai lu les premières lignes en pensant que je n’y comprendrais rien, mais je me suis rapidement aperçu qu’il n’en était rien et que la littérature pouvait être simple et belle à la fois.»
«Cette impression s’est renforcée lorsque j’ai lu Pieds nus dans l’aube de Félix Leclerc, dont la première phrase a été pour moi un éblouissement. Depuis ce temps, je vois les livres comme des moyens de voyager à travers l’espace et le temps, de me raconter des histoires à moi-même en effleurant la trame tissée par d’autres. J’ai écrit mon premier roman (Les danseurs de Kamilari) en voulant coucher sur papier les rêveries que m’avaient inspirées mes lectures.»
Pourriez-vous nous dire d’où est née votre passion pour l’Antiquité, et plus spécifiquement celle pour l’histoire et la culture de la Grèce?
«C’est une passion qui remonte à si loin dans mon enfance que son début m’échappe. Vers 11 ans, j’ai demandé à mes parents de m’acheter une méthode pour apprendre le latin… L’expérience a été difficile et les résultats douteux, mais je peux quand même dire que ma langue seconde est le latin.»
«Pendant l’adolescence, je lisais tout ce qui me tombait sous la main et j’ai lu par hasard des textes de l’auteur grec Xénophon; plus tard, à l’Université d’Ottawa où j’étudiais en biologie, j’ai eu le bonheur de suivre un cours en études anciennes et c’est alors que j’ai pris conscience qu’on pouvait encore étudier les langues anciennes et en apprendre sur les civilisations méditerranéennes. J’ai immédiatement changé d’orientation et je ne l’ai jamais regretté.»
«De nombreux voyages en Italie, en Grèce et sur le pourtour de la Méditerranée n’ont fait qu’accroître mon intérêt pour les temps anciens. Je me passionne à la fois pour la Grèce antique et pour la science-fiction, car ce sont deux façons de se projeter vers d’autres mondes (passés et futurs) qui nous font réfléchir sur celui où nous vivons. Il me semble en effet important d’apprendre à nous comparer, afin de nous rendre compte que nous n’avons pas tout inventé et que nous ne sommes pas seuls, car notre expérience ressemble à celle de millions d’autres humains. En puisant dans cette expérience commune, on peut mieux arriver à grandir.»
Ce mois-ci, votre roman Le mystère de Némi est paru aux Éditions David. On y suit les aventures de Jules, un jeune homme téméraire et avide de reconnaissance qui se lance dans une quête particulière à travers l’Italie et la Grèce – à première vue anodine, mais qui dévoilera petit à petit une histoire sordide de pouvoir et d’argent. D’où vous est venue l’inspiration pour la trame de ce thriller haletant?
«Je n’ai pas beaucoup de mérite, l’histoire (réelle) du roi de Némi, un prêtre qui devait assassiner son prédécesseur et qui allait lui-même être tué par son successeur, est en elle-même assez sordide. Partant de ce thème, je n’ai eu qu’à puiser dans l’histoire pour découvrir comment l’être humain peut accomplir des choses terribles en dévoyant des principes moraux ou religieux au nom de sa soif du pouvoir et de l’argent.»
«Déjà au Ve siècle avant notre ère, Euripide disait que nous sommes esclaves de l’argent et du sort; les choses n’ont pas vraiment changé. L’être humain est le seul animal irrationnel, car contrairement aux autres animaux, nos comportements sont parfois imprévisibles et nous cherchons des justifications dans des endroits surprenants.»
«La vague de complotisme actuelle en fait foi, et mes personnages cherchent eux aussi à se justifier en déformant la réalité et en affirmant suivre des enseignements auxquels eux seuls ont un plein accès. La capacité de mourir ou de tuer pour des idées est à la fois l’une des forces et l’une des faiblesses de l’être humain.»
Dans ce livre, vous «illustrez avec brio comment l’histoire peut nous donner la clé de notre propre liberté et assouvir notre soif d’aventure.»Sans tout nous dévoiler, bien sûr, pourriez-vous nous développer cette idée? On aimerait savoir comment Le mystère de Némi remporte ce pari, selon vous.
«J’avais commencé à écrire ce livre en m’inspirant de la pensée de Spinoza qui disait que la vérité n’est pas définie par rapport à l’objet de notre étude, mais par rapport à celui qui effectue cette étude. La liberté ne m’apparaît pas comme la possibilité de vivre sans entraves en se moquant des autres, mais comme la faculté de pouvoir choisir comment interpréter sa destinée et lui donner un sens.»
«Comme je l’écris dans le roman, le présent est fugace, mais le passé est vaste et l’avenir infini, ce qui implique que nous avons dans le passé un terrain de jeu presque sans limites pourvu que nous utilisions notre imagination. Il est peu de situations qui n’aient déjà eu lieu, il est peu de pensées qui n’aient jamais été exprimées; par exemple, déjà chez Lucien de Samosate, on imaginait des voyages sur la lune et le soleil à bord de grands navires spatiaux.»
«Le jeu du romancier, c’est de prendre des situations historiques et de se dire: voilà ce qui s’est passé, mais que serait l’histoire s’il s’était plutôt passé autre chose? Il suffit alors de mettre un grain de sable dans l’engrenage de l’histoire pour créer une nouvelle trame qui nous permet de revisiter ce qui s’est produit à la lumière de notre regard.»
Si tout était possible, y compris remonter le temps, dans quel événement de l’Antiquité souhaiteriez-vous être téléporté pour le vivre de l’intérieur et le voir de vos propres yeux, et pour quelles(s) raison(s)?
«C’est une question plus complexe qu’elle ne semble et j’ai bien peur de vous répondre comme un professeur. Malgré nos difficultés présentes, nous vivons aujourd’hui l’époque la plus heureuse que l’humanité ait connue. Aussi, tout est une question de perspective: vivre dans l’Antiquité comme une personne riche et en santé parmi un peuple qui n’est pas opprimé devait être une expérience extraordinaire, mais la plupart des gens mourraient jeunes après une vie difficile, tandis que les femmes étaient opprimées et traitées comme des enfants.»
«Pourquoi étudier cette période alors? Parce que c’est aussi une période où la pensée s’émancipe, les penseurs peuvent défier les conventions sans se faire excommunier, les explorateurs ont l’impression de découvrir le monde.»
«Je décris ici la façon de penser des Athéniens du Ve siècle avant notre ère; c’est l’endroit et le moment où je voudrais pouvoir me rendre pour ressentir l’incroyable élan de vitalité qui animait ces gens qui n’ont pas eu peur de tout remettre en question et de tout construire. Tout cela, sans compter que la Méditerranée avec son climat et ses paysages est le plus bel endroit au monde, et cela est encore vrai aujourd’hui!»