LittératureDans la peau de
Crédit photo : Katia Jarjoura
Kateri, tu sembles avoir un parcours bien rempli en tant qu’autrice polyvalente, puisque tu écris aussi bien des essais, des poèmes et de la fiction. En plus, tu enseignes la culture littéraire et donnes des ateliers d’écriture à l’UQAR! On est curieux: d’où t’est venue la piqûre pour la création littéraire?
«De la fascination et de l’étonnement qui remontent à l’enfance, très loin, et qui m’habitent, me ravissent et me menacent, aussi? De mon amour perpétuel pour les mots, les livres et les histoires qui sont des mondes dans le monde, des vies dans la vie, des endroits habitables? De la révolte, de la colère, de la solitude, des combats, mais transfigurés, apprivoisés.»
«Il y a aussi toute la singularité de nos trajectoires: j’ai perdu un alto, j’ai participé à des concours, j’ai rencontré des écrivain.e.s du monde entier et je me suis sentie accueillie, chez moi dans la littérature. J’ai suivi des cours de création littéraire avec Yvon Rivard et je n’ai jamais arrêté d’y penser. Un jour, j’ai écrit une lettre à Nancy Huston et ce qu’elle m’a répondu m’a percutée, j’ai terminé un doctorat en création littéraire et j’ai compris qu’il valait mieux créer, danser, aimer…»
«Et c’est toujours là, ce besoin de passer de la vie vécue à la littérature pour retourner à la vie, mais encore plus vivante.»
Et alors, à quel moment et dans quel contexte as-tu décidé de partager ta passion par le biais de cours, de conférences ou encore de tables rondes; et en quoi ces projets ont-ils nourri et alimenté encore davantage ta soif d’écrire?
«C’est venu petit à petit parce que, si je suis une passionnée avide et survoltée, je suis aussi paradoxalement une grande timide solitaire qui pourrait passer son temps devant une fenêtre à écrire. Comme je suis devenue prof de lettres et de création littéraire, ça fait partie de mon travail. Mais il y a une vraie joie de la transmission qui tient de l’émancipation et de la liberté (qui fait des profs des êtres importants).»
«Les rencontres intellectuelles et artistiques m’allument complètement, ce sont des météores, comme le travail d’atelier en classe que j’essaie d’aborder avec une posture humble – ignorante comme dirait Rancière – à partir de mes ravissements et de mes doutes, en cherchant toujours. Et comme je lis sur la création, ça me bouscule et m’émerveille, et ça me donne envie d’écrire en retour! C’est un mouvement qui se nourrit lui-même, c’est infini… si ce n’est de ma lenteur, de mon perfectionnisme et de la tragédie du temps qui manque!»
Ce 15 septembre, tu as dévoilé Passer l’hiver, ton deuxième recueil de poésie publié aux Éditions du Noroît. Peux-tu nous parler du fil conducteur de ce livre, ainsi que de tes inspirations à l’origine de ces écrits?
«C’est un recueil qui m’a hantée et dont j’ai mis longtemps à trouver à la forme. Il est né de plusieurs choses, de plusieurs chocs, dans le désordre: la mort de Lhasa et celle, symboliquement très douloureuse, d’une amie avec qui je partageais un grand amour pour la poésie; le tremblement de terre à Haïti; un grand passage à vide (ou à tréfonds); une longue, pathétique, rupture…»
«Pendant tout un hiver, je me suis accrochée à un seul poème, et la question est restée: qu’est-ce qui nous permet de passer l’hiver? Je ne voulais pas un recueil avec juste ma voix, je voulais plusieurs voix à travers le temps et à travers l’espace, une série de moments où tout se joue pour des êtres différents et où cette question-là est relancée. Il y a donc plusieurs sections aux rythmes distincts, dont une section chorale d’apparitions et d’épiphanies. C’est aussi un recueil sur l’espoir désespéré que sont la création, l’amour, l’amitié, la parentalité en temps de crise.»
Aussi, dans ce recueil, tes mots sont accompagnés des illustrations de Romain Renard. Peux-tu nous parler de votre collaboration et de ce que tu as ressenti lorsque tu as vu ses «mises en images» de tes pensées?
«C’est une histoire un peu magique et mystique, cette rencontre avec Romain Renard – qui est le concepteur de Melvile, une splendide trilogie de romans graphiques, et qui est un très, très grand artiste! Une série de hasards, de chances et d’initiatives (merci la Wallonie-Bruxelles!) nous a permis de nous rencontrer à la boom de chez Alto au Salon du livre de Québec. C’est là que nous avons découvert que nous avions des vies secrètement connectées, et à quel point nos poésies’de lacs, de rivières, de ciels, d’étoiles, de territoires et d’étrangeté étaient proches!»
«On a immédiatement eu envie de travailler ensemble malgré la distance (Romain est à Bruxelles) et nos vies surchargées. Quand je lui ai parlé de Passer l’hiver, Romain a tout de suite embarqué! On a voulu faire un beau livre de poésie graphique, un dialogue entre ses dessins et mes textes. Et ses images, d’une beauté vertigineuse, m’ont soufflée et ont nourri l’écriture des poèmes!»
Si tu avais carte blanche pour un prochain projet littéraire innovant et différent de tous ceux que tu as déjà réalisés, dans quoi te lancerais-tu, et pourquoi?
«J’adore traverser les genres, les disciplines et les médiums! Je suis fascinée et bouleversée par le travail de création, et les formes d’incarnations à l’œuvre dans les autres arts, surtout dans la danse et dans le jazz!»
«Donc, un vrai projet d’écriture et de création avec de l’improvisation jazz (je pense à ce qu’ont fait Misc et Ivy), ou un projet mêlant poésie, danse, musique, pellicule, ça, ça serait vraiment un rêve!»
«Je cherche aussi comment produire des rencontres entre l’art, la littérature et la science, et les manières de raconter ces rencontres! Mais peut-être que tout ça peut passer dans la littérature: la musique, les rencontres avec la science, l’infinie curiosité et tendresse pour les vivants et les absents, tout ça peut donner naissance à des formes novatrices, frondeuses et insolentes, qui résistent aux taxinomies et aux classements et qui rendent un peu fous ceux qui tentent de les classer?»