LittératureDans la peau de
Crédit photo : Annie Garofano
Alain, quel plaisir de pouvoir échanger avec vous aujourd’hui! Vous qui êtes auteur d’une trentaine de livres – tous genres confondus – et éditeur de plus de 2 000 ouvrages (!), on est curieux de savoir: d’où vous est venue la passion pour la littérature?
«Mon intérêt pour la littérature est né de la frustration. À cause de la guerre, je n’ai pas pu lire de livres avant l’âge de 10 ans. Le premier ouvrage que j’ai lu, relu (et appris presque par cœur) est De la terre à la lune de Jules Verne, que j’ai reçu en guise de prix scolaire!»
«On comprendra pourquoi Jules Verne est resté mon auteur favori. C’est assurément l’homme qui a changé le cours de ma vie. C’est lui qui a fait que je suis devenu journaliste, éditeur et producteur par la suite. C’est lui qui m’a donné le goût de parcourir le monde et d’être toujours à la quête de l’insolite, l’étrange, l’étonnant, l’inexplicable, l’inusité, l’hétéroclite: c’est la preuve irréfutable de l’importance des livres dans nos vies.»
«Par ailleurs, comme la majorité des journalistes, j’ai toujours été frustré de voir que la longévité et la longueur d’un article étaient très limitées. Une fois l’article lu, il était irrémédiablement jeté au rebut, alors que ce n’est pas le cas pour un livre… Voilà pourquoi la pérennité des livres m’a dirigé vers l’édition.»
Outre vos chapeaux d’auteur et d’éditeur, vous avez été également journaliste, réalisateur et animateur. De nombreux Québécois ont d’ailleurs suivi vos émissions de radio et de télévision! Qu’est-ce que cela vous fait, avec le recul, de vous dire que vous avez eu un impact sur le quotidien de plusieurs générations d’auditeurs et de téléspectateurs?
«J’ai exercé tous ces métiers pour pouvoir gagner ma vie, tout en me faisant… plaisir. Sitôt réveillé, je n’avais qu’une hâte: aller travailler – c’est-à-dire m’amuser. Ainsi, ai-je eu la chance de rencontrer quantité de gens issus de domaines auxquels je n’aurais jamais pu accéder autrement.»
«J’ai passé le plus clair de mon temps à découvrir et à transmettre mes découvertes. Autrement dit, je n’ai jamais eu l’impression d’être autre chose qu’une simple courroie de transmission, sans prétention aucune de vouloir exercer un quelconque impact sur mes lecteurs, mes auditeurs ou mes téléspectateurs.»
«Avec le recul, je me rends compte que si je n’avais pas été journaliste, je n’aurais jamais pu œuvrer dans l’édition ou dans la production: deux merveilleux métiers que j’ai exercés avec la vision journalistique d’un rédacteur en chef.»
Le 4 novembre, votre livre Émerveillements est paru aux Éditions La Presse. Vous y parlez de rencontres lumineuses qui ont marqué votre parcours, et partagez «des dizaines d’histoires, comme autant de cailloux blancs qui jalonnent [votre] vie et rendent hommage à la grandeur des discrets, à la lumière surgie de l’ombre, à la magie tapie dans le quotidien.» Qu’est-ce qui vous a tant fasciné chez ces «inconnus héroïques», et qu’est-ce qui vous a donné envie de les mettre en valeur dans cet ouvrage?
«Dans la vie, on rencontre des gens connus, célèbres, acclamés et abondamment décorés, dont la réputation fait l’envie de beaucoup. D’un côté, les chefs, les leaders et, de l’autre, les sans-grade, la piétaille; ceux dont on peut penser que, n’ayant rien à montrer, ils ont peut-être quelque chose à cacher.»
«Pourtant, parmi ces derniers se trouvent souvent des personnes très méritantes qui, bien qu’elles aient accompli parfois des actions exceptionnelles, continuent à vivre discrètement dans l’anonymat, sans jamais chercher à sortir de l’ombre. La valeur bien dissimulée de ceux-ci, ainsi que leur grande modestie, ont toujours piqué ma curiosité et m’ont donné l’envie de les faire découvrir à d’autres.»
«Je pense notamment à cet étonnant cul-de-jatte, Raymond Lagloire, un inaltérable optimiste qui vivait avec… un bras et qui, malgré son terrible handicap, trouvait le moyen de voler au secours des autres à qui il apprenait la joie de vivre (!)»
«Un beau jour, j’ai fait la connaissance de Michèle Brûlé, une aveugle de naissance. Malgré son handicap, elle parle le français, l’anglais, l’allemand et le japonais. Michèle est pianiste, flutiste et œnologue. Elle a été mon attachée de presse (!) et a même traduit un livre de Woody Allen!»
«Passionné par toutes mes rencontres, j’ai appris à “admirer” et surtout à ne jamais juger personne, mais plutôt à rechercher dans chacune d’elle (même la plus pervertie) un point valable, une bonne action qu’elle aurait faite.»
«Toutes ces personnes m’ont fait réaliser que l’un des problèmes de notre société réside dans le fait que, de nos jours, les gens ne veulent pas être utiles, mais… importants!»
Les lecteurs curieux qui se plongeront dans votre livre découvriront ainsi «les récits d’amoureux, d’altruistes, d’excentriques, de héros du quotidien, de survivants et de résilients, de gens de parole, d’animaux même.» Ces êtres dont vous parlez ont-ils une caractéristique commune, quelque chose qui les unit à travers leurs histoires et leurs chemins de vie?
«Ils ont tous en commun l’humilité, la pudicité, le respect et l’amour de la vie. Ils sont hors normes. Ils sortent tous du commun. Ces gens semblent être allés plus loin que le bout d’eux-mêmes.»
«Chacun d’entre eux a une façon (très positive) de voir la vie. Ils semblent être entièrement disponibles au présent pour que leur vie qui passe ne soit pas qu’un rêve effleuré. Beaucoup ont souffert, mais dans chaque malheur, ils ont trouvé des raisons de ne pas désespérer complètement.»
«En les écoutant raconter ce qu’ils ont vécu, j’ai eu le privilège d’apprendre qu’on pouvait toujours se consoler d’un mal qui engendrait le bien. J’ai appris aussi qu’on ne devait jamais demander que tout nous arrive comme on le voudrait. Pour être réellement heureux, il faut accepter les choses telles qu’elles nous arrivent et savoir se contenter de ce que l’on a.»
Si tout était possible, y compris remonter le temps, quelle rencontre que vous avez déjà vécue et que vous relatez à travers ce livre souhaiteriez-vous revivre, et pour quelle.s raison.s?
«Si je pouvais remonter le temps, je souhaiterais renaître une seconde fois, mais riche des expériences que j’ai vécues lors de ma première vie.»
«Si, pour me faire du bien, je pouvais revivre certains moments de mon passé, le premier BEAU souvenir serait sans aucun doute celui que j’ai vécu en Allemagne, alors que je n’avais que 11 ans. C’était au camp de concentration. Le bonheur est arrivé sans prévenir, par effraction. Il était vêtu d’un uniforme américain. Un miracle! C’était le jour glorieux et inoubliable de la Libération!»
«Apatride pendant des années, j’étais toujours vivant et je retrouvais ma liberté!»
«Par la suite, j’ai réalisé que j’avais bel et bien une patrie, une seule, au fond de moi. Un lieu éternel, immuable qui, lui, n’a pas de frontières.»