Littérature
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La cellule de Soren Seelow, Kévin Jackson et Nicolas Otéro · Arènes
Vous souvenez-vous des attentats du 13 novembre 2015 en France? Ce jour-là, à Paris, des terroristes de l’État Islamique ont attaqué simultanément la salle de spectacle du Bataclan, le Stade de France et des terrasses de restaurants, causant 130 morts et plusieurs centaines de blessés. Le procès dit «du 13 novembre» se déroule actuellement outre-Atlantique.
La cellule, une brillante bande dessinée d’investigation consacrée à l’avant et à l’après 13 novembre, permet d’en démêler l’écheveau.
Signée par le journaliste Soren Seelow, le chercheur Kévin Jackson et le dessinateur Nicolas Otéro, La cellule est un ouvrage dense et passionnant faisant la lumière sur la cellule terroriste à l’origine de ces attentats meurtriers. Rassurez-vous, aucune scène n’est consacrée aux attentats eux-mêmes.
Les auteurs ont choisi de s’intéresser, d’une part, au travail des services de renseignements français et, d’autre part, aux jeunes djihadistes belges et français partis rejoindre l’État Islamique en Syrie et revenus pour semer la terreur en Europe.
Les auteurs exposent habilement la genèse des attentats, les difficultés auxquelles ont fait face les services de renseignement, et le fonctionnement de l’État Islamique et de ses cellules terroristes. On découvre les camps d’entraînement en Syrie et en Irak, les dessous des vidéos de propagande et des processus de recrutement. On arpente les routes des migrants qui quittent les guerres et la misère au Moyen-Orient pour rejoindre l’Europe, et les routes qu’empruntent les terroristes, guidés par des passeurs expérimentés. On attend aux côtés des djihadistes dans des «planques» en Belgique, alors que s’amassent en coulisses armes et substances explosives.
Le récit est dense et d’une grande complexité. L’ouvrage, fouillé et admirablement dessiné, est pourtant clair et accessible; le fruit d’un formidable travail de vulgarisation accompli par ses auteurs et d’une impeccable scénarisation.
Une lecture éclairante pour qui veut comprendre le fonctionnement des cellules terroristes.
La cellule de Soren Seelow, Kévin Jackson et Nicolas Otéro, Les Arènes BD, 2021, 248 pages.
Appréciation:
Payer la terre, par Joe Sacco · Futuropolis
Le journaliste et bédéiste Joe Sacco s’est fait connaître par ses enquêtes illustrées consacrées à la guerre, par exemple en Palestine et en Bosnie, pour lesquelles il a reçu le prestigieux prix Eisner.
Pour son dernier ouvrage, publié en 2020, Joe Sacco est parti dans les Territoires du Nord-Ouest, où une autre forme de guerre fait rage. Là-bas, les communautés Dénés sont aux prises avec les ravages environnementaux, culturels et sociaux causés par les industries minières, héritières de la colonisation et des pratiques génocidaires qui l’ont caractérisée.
Si le point de départ de l’enquête se situe dans les rapports conflictuels qu’entretiennent les communautés locales avec les industries d’extraction de ressources naturelles, l’ouvrage de Sacco est avant tout une rencontre avec les populations Dénés, leur histoire et leur vie aujourd’hui. À travers des entrevues fouillées avec aînés et jeunes, Dénés, le journaliste, expose l’histoire de la colonisation du Nord-Ouest, la violence extrême des «pensionnats» autochtones et les traumatismes intergénérationnels qui en ont découlé.
Il présente également les enjeux territoriaux et les rapports entre les communautés autochtones, les organismes gouvernementaux et les industries.
Avec compassion, mais sans chercher à simplifier la question, Sacco présente les divisions au sein des habitants et habitantes des Territoires concernant la présence de l’industrie minière, extrêmement polluante, en opposition complète avec les valeurs traditionnelles, mais vectrice d’emploi. L’auteur parle des problèmes de dépendance aux substances et de la dépendance, plus répandue, aux investissements privés et à l’exploitation des ressources naturelles.
Sacco expose sans relâche les ramifications de la colonisation des Territoires et des enjeux culturels et sociaux qui s’y jouent désormais.
Le titre de l’ouvrage, Payer la terre dans sa traduction française, fait référence à la tradition voulant que l’on donne à la Terre un cadeau lorsqu’elle nous a donné une de ses richesses. Mais comment «payer» la terre quand les promesses de développement imposées par la colonisation entrent en conflit avec les valeurs au fondement de l’identité de ceux qui en ont été dépossédés?
Sans pouvoir répondre à cette question, Joe Sacco livre ici un ouvrage bouleversant et brûlant d’actualité.
Paying the Land de Joe Sacco, Metropolitan Books, 2020, 272 p. / Payer la Terre, Futuropolis, 2020, 272 pages.
Appréciation:
Vous aimez le journalisme dessiné? En France, La Revue Dessinée est un trimestriel de journalisme d’investigation illustré d’excellente qualité. Et il existe aux États-Unis le site Internet The Nib, qui propose du journalisme d’actualité dessiné, souvent de manière satyrique, parfois sous la forme de courts reportages.
The Nib propose sur sa chaîne YouTube une merveilleuse entrevue avec Joe Sacco au sujet de son ouvrage Paying the Land.