Littérature
Crédit photo : cottobro studio @ Pexels
«La mort de Virgile» d’Hermann Broch ∙ Gallimard
Hermann Broch a été l’un des plus grands représentants de la littérature autrichienne du XXe siècle, et son œuvre La mort de Virgile est un véritable chef-d’œuvre en soi dans lequel le langage crée un flou entre l’onirique et le réel en les superposant pour créer chez le lecteur un état hallucinatoire le rapprochant du délire de Virgile.
En effet, le grand poète latin est sur le point de mourir et, en repensant à son œuvre, l’Enéide, il s’interroge sur ce qu’il faudrait en faire: Virgile pense à son chef d’œuvre comme à une œuvre incomplète et il est alors saisi par le désir de la brûler.
L’auteur réussit à rendre les sentiments du protagoniste d’une manière sublime, et ce, à travers des visions, des aperçus, des fragments de souvenirs, des désirs refoulés et des ambitions frustrées, tout en les communiquant au lecteur d’une manière plastique, quasi visuelle.
N’oublions pas qu’Hermann Broch a été considéré par Milan Kundera comme son «maître», ni plus ni moins. Cela vous donne une idée de l’influence de cet auteur autrichien sur la littérature d’Europe centrale!
«L’incendie de Los Angeles» de Nathanaël West ∙ République des Lettres
Ce livre de Nathanaël West a certainement connu un énorme succès aux États-Unis et il est encore aujourd’hui l’une des œuvres de fiction les plus populaires de la littérature américaine du début du siècle. Mais force est d’admettre qu’il n’a pas connu le même succès à l’étranger.
Nathanaël West, grand ami de Scott Fitzgerald (tellement, qu’ils sont décédés à un jour d’écart l’un de l’autre!) met en scène un Hollywood contradictoire et frustrant des années 30 avec des personnages allant des stars de cinéma aux producteurs à la moralité douteuse, en passant par des actrices vieillissantes de films muets effacées de la scène après l’arrivée du son…
Histoire d’éveiller votre curiosité, mentionnons simplement que l’un des personnages s’appelle Homer Simpson et que son comportement quasi obsessionnel compulsif semble avoir tissé la trame du personnage éponyme de la série animée!
«Le joueur» de Fedor Dostoïevski ∙ Folio
Si vous avez toujours voulu vous rapprocher des thèmes clés de l’œuvre de Dostoïevski, lire Le joueur est un excellent point de départ.
Bien que ce ne soit pas l’une des œuvres phares du grand écrivain russe, parce qu’elle a entre autres été obscurcie par le populaire Crime et châtiment, écrit et publié dans la même période, Le joueur introduit en seulement deux cents pages tous les tropes caractéristiques, psychologiques et existentiels chers à Dostoïevski. Mais il faut admettre qu’elle manque toutefois d’un épilogue fort comme dans ses autres œuvres, où le récit se conclut soit par la catharsis du protagoniste, soit par sa ruine complète.
Ici, l’histoire se déroule dans une ville allemande imaginaire appelée Roulettenbourg (dans la réalité, on peut peut-être penser à Baden-Baden?), et son personnage principal est le précepteur Aleksej Ivànovic, lequel glisse lentement dans la ludopathie en étant attiré «comme une sirène» par la roulette, incapable de se soustraire à l’adrénaline du jeu.
L’ouvrage s’inspire de manière autobiographique de la passion de Dostoïevski pour le jeu: il a écrit cet ouvrage en moins d’un mois afin de remplir un engagement éditorial pour lequel il a dû honorer des dettes de jeu! Paradoxalement, ce même vice a souvent incité l’auteur à écrire plus rapidement et l’a même rendu plus prolifique.
«Le courtier en tabac» de John Barth ∙ Le livre de poche
John Barth a été, de son vivant, le père du postmodernisme américain, mais ses œuvres n’ont jamais atteint, en dehors des frontières nationales, la notoriété qu’elles auraient méritée.
Dans tous ses livres, l’auteur expérimente des formes de langage et de communication qui repoussent les limites de la compréhensibilité: il suffit de penser au récit Ménélaïde, dans lequel le plan narratif se recoupe dans la transposition des souvenirs de tous les personnages cités, lesquels s’entrelacent presque d’une manière itérative.
Le courtier en tabac s’avère une épopée comique et satirique au sein de laquelle l’auteur se plaît à dépeindre une parodie impossible du roman historique du XIXe siècle: le protagoniste Ebenezer Cooke est une âme pure qui est à la merci des événements et des personnages à la moralité douteuse, contraint d’affronter des mésaventures de toutes sortes. Le jeune homme, qui a des ambitions de poète et peu de sens pratique, est envoyé dans les colonies américaines par son père pour diriger la plantation familiale après avoir été impliqué au cœur d’un scandale avec une prostituée qu’il idéalise presque comme dans le dolce stil novo (littéralement «nouveau doux style», un courant littéraire italien majeur du XIIIe siècle).
Le voyage se révélera, pour le poète en lui, une source inépuisable d’aventures et de mésaventures, alors qu’il se retrouve mêlé à un échange de personnes, confronté à des pirates, naufragé et emprisonné par des Indiens, après avoir imprudemment perdu tous ses biens, y compris la plantation! Le voilà pieds et poings liés dans une intrigue politique ourdie par les factions catholiques et protestantes…
Ce roman est aussi hilarant, comique et grotesque que les comédies de Plaute, et pose les questions suivantes: quand l’innocence peut-elle être vraiment sauvée dans un monde qui tend inexorablement à la corrompre? Ebenezer Cooke sera-t-il un nouveau Parsifal, ou se laissera-t-il détourner en s’abandonnant lui aussi aux plaisirs auxquels il semble prendre goût? Découvrez-le en le lisant à votre tour!
«Migrations» de Miloš Crnjanski ∙ Julliard
Il s’agit d’une œuvre peu connue en dehors d’un petit cercle de passionnés de littérature d’Europe centrale, et sa diffusion n’a en aucun cas été aidée par la taille du texte, qui dépasse, selon les éditions, les mille pages!
Migrations, qui raconte l’émigration de nombreux Serbes en Autriche qui ont fui la domination turque du XVIIIe siècle, reste une œuvre fondamentale de la littérature en langue slave, divisée en deux parties écrites à 30 ans d’intervalle. À travers ce livre, qu’on pourrait qualifier de diaspora, on découvre l’histoire d’un peuple racontée à l’instar d’une mosaïque: chaque pièce est un personnage, un événement voire un détail, et seul l’ensemble des pièces parvient à révéler l’épopée tantôt tragique, tantôt épique et parfois lyrique de cette histoire dans son ensemble.
Pour les curieux, l’action se déroule en Voïvodine (une région serbe) au XVIIIe siècle, à la frontière entre l’Empire ottoman et l’Empire austro-hongrois. Et pour finir, le roman procède par dichotomies: entre vie et mort, guerre et paix, amour et haine… Aurez-vous le courage de vous lancer?