CinémaEntrevues
Crédit photo : Orion Pictures
«Peu de films savent refléter la pensée musicale. Bertrand Tavernier a réussi avec Round Midnight et Miloš Forman avec Amadeus», affirme Marie-Christine Trottier. Pour la journaliste et animatrice d’ICI Musique, le film est une réussite totale.
«En adaptant la pièce de Peter Shaffer, le cinéaste a su entrer dans le cerveau du génial compositeur et ainsi nous faire comprendre une parcelle de son inspiration. L’impossibilité de s’imposer à la Cour, l’ascendance de son père sur lui, son caractère égoïste, vulgaire et coquin, sa rivalité avec le maladivement jaloux Salieri, son requiem inachevé, sa propre mort… L’intensité dramatique est forte du début à la fin. La trame sonore explore savamment la gamme d’émotions ressenties dans chaque scène; les décors d’époque sont d’une splendeur. Pas du tout étonnant qu’il ait reçu huit Oscars.»
Manon Dumais, journaliste culturelle au journal Le Devoir, ne peut que renchérir: «Ce qui fait de ce film de Forman un chef-d’œuvre, c’est qu’il n’est pas un biopic classique. Il n’a rien d’une sage adaptation théâtrale ni d’une suite de huis clos statiques. Bien qu’il prenne beaucoup de liberté avec les faits réels, dont la jalousie maladive de Salieri envers Mozart, Amadeus s’avère une célébration effervescente de la musique de Mozart doublée d’une réflexion émouvante sur la création, sur l’inspiration, sur la perfection et sur la vie d’artiste. L’opulence baroque de la mise en scène souligne la beauté fulgurante des œuvres de Mozart, sa foisonnante imagination ainsi que son train de vie frénétique qui le mena à la ruine.»
Marc Lamothe, co-directeur du Festival international de films Fantasia, se souvient encore de son premier visionnement. «Je me souviens avoir vu ce film à sa sortie en 1984. Je ne connaissais rien de la pièce originale ou de l’histoire de ce film. Mon attachement encore aujourd’hui vient du fait que plutôt d’avoir montré la vie d’un génie brûlant la chandelle par les deux bouts et affublé d’un problème d’alcool, il choisit un portrait expressionniste et tordu par la rage et la paranoïa, alternant entre le génie, la tendresse et la juvénilité. Amadeus reste l’un des films les plus impressionnants que j’ai eu la chance de voir.»
Quant à Christian Laurence, réalisateur et instigateur du mouvement Kino’00, le chef-d’œuvre de Forman porte une importante valeur sentimentale. «C’est le film fétiche de ma mère. Quand elle a divorcé de mon père, elle s’est retrouvée perdue devant sa peine. Elle a rencontré un homme qui est devenu un grand ami et confident. Il l’a initiée à la musique classique et au grand art, elle qui est issue d’un milieu ouvrier plutôt modeste. Elle m’a raconté qu’ils sont allés voir le film au cinéma à sa sortie et qu’après la projection, complètement bouleversés par tant de beauté, ils sont restés dans la salle jusqu’à ce que les lumières se rallument… Et ils sont restés pour revoir le film une seconde fois! Donc pour moi, ce film est associé à l’émancipation artistique de ma mère, qui m’a toujours encouragé ensuite dans cette voie, et c’est certainement grâce à son inspiration que je suis devenu un cinéaste.»
Finalement, pour le plaisir, nous avons demandé à chacun de nos spécialistes de partager avec nous leur moment préféré du film.
Marie-Christine Trottier: «Il y en a plusieurs, mais j’avoue que la scène de l’enterrement du génie dans la fosse commune au son du Lacrimosa du Requiem est saisissante.»
Manon Dumais: «Selon moi, le passage le plus mémorable, et le plus bouleversant, c’est lorsque Mozart, sur son lit de mort, compose son Requiem que lui a commandé un mystérieux personnage. À bout de force, il dicte les notes à son éternel rival Salieri, qui peine à suivre le rythme. Selon les historiens, ce n’est pas ainsi que ça s’est passé, mais je trouve que cette scène illustre avec puissance le génie et la créativité de Mozart, qui concevait et mémorisait toutes ses partitions avant de les retranscrire.»
Marc Lamothe: «Puisqu’il faut en choisir une, je vais porter votre attention sur celle qui m’a le plus emballé au premier visionnement. Dans le premier tiers, Constance va voir Salieri pour la première fois avec des partitions écrites par Mozart, son époux. En tournant les pages, les extraits sonores se succèdent et soudainement, Salieri est profondément bouleversé par un passage qui lui confirme que la beauté émanant de la musique de Mozart n’est rien d’autre que la voix de Dieu. Il réalise alors l’ampleur du talent de Mozart, laisse tomber les pages dans un magnifique ralenti et il marche nonchalamment sur les partitions en sortant de la pièce. Tout le talent de l’acteur F. Murray Abraham passe, selon moi, dans cette scène où il se transforme de charmeur manipulateur à homme en extase devant la musique, puis à un être méprisant et méprisable en quelques secondes. Un réel serpent humain.»
Christian Laurence: «Ma scène favorite, un tout petit moment, mais d’un humour fracassant: le roi qui n’aime pas la Flûte Enchantée et qui déclare candidement, There’s just too many notes. Pour moi, cette phrase résume tellement bien la bêtise, celle qu’on rencontre tous les jours hélas, surtout chez ceux qui ont du pouvoir et prétendent que ce pouvoir (et leur fortune) leur donne automatiquement un sens du goût.»