CinémaDans la peau de
Crédit photo : Tous droits réservés @ Les Films du 3 Mars
Laurence, c’est un plaisir de t’accueillir à cette série d’entrevues! Figure de proue de la communauté LGBTQ+, tu es devenu∙e, depuis ton coming out comme personne trans non binaire, une incroyable source d’inspiration pour de nombreuses personnes à travers le monde. Sur les médias sociaux, mais également à travers tes photographies, desquelles émane ton goût des couleurs vives et éclatantes, ainsi que ta sensibilité artistique. À quel moment as-tu eu l’appel de ce médium, et à quel point a-t-il été salvateur pour toi?
«Je fais de la photo depuis que j’ai environ 14 ans – j’ai commencé à partager mes photos sur le site Flickr vers 2007. Je me suis rapidement tourné∙e vers l’autoportrait, et le support que j’ai reçu pour mes images en ligne m’a encouragé à poursuivre mes études en photo au Collège Dawson en 2011.»
«C’est autour de ces années-là que j’ai commencé à m’intéresser au monde de la photo queer, que j’ai découvert en partie sur Tumblr, ainsi que sur les étagères photo de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).»
«La photographie a été un moyen d’expression important dans ma vie depuis!»

«Pre-Raphaelite» (2019)
En mai 2022, tu as fait paraître un livre illustré de 288 pages chez Yoffy Press, que tu as intitulé Puberté (ou «Puberty» en anglais). Cet ouvrage, c’est une série d’autoportraits quotidiens qui documentent ton parcours depuis ta prise de testostérone et de nombreuses scènes domestiques de ton quotidien. Ce titre est d’ailleurs très symbolique, puisqu’il fait référence non pas à ton passage de l’enfance à l’adolescence, mais bien à ta transition d’adulte genré à un adulte non genré. Qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans cette aventure artistique sur papier, et comment a-t-il été accueilli par le public et par la presse?
«J’ai commencé à travailler sur mon projet Puberty à l’hiver 2019, quelques mois seulement après avoir commencé mon traitement hormonal substitutif à la testostérone. Le processus d’autoportrait faisait déjà partie de ma pratique artistique depuis une dizaine d’années, donc c’était pour moi une continuation naturelle de mon travail en photographie.»
«Je souhaitais documenter ma transition, d’abord pour moi-même, et aussi pour créer une archive de vie trans au XXIe siècle pour les générations futures. En fait, je voulais surtout créer une œuvre qui pose un regard sur l’existence transgenre au-delà des changements physiques, et offrir une immersion dans la sphère domestique à laquelle on a très peu accès. Ceci dit, je m’identifiais déjà comme une personne non binaire depuis plusieurs années avant d’avoir commencé mon traitement de testostérone, et j’aurais continué à vouloir être une personne non binaire, et ce, même si je n’avais pas entamé ce traitement hormonal.»
«Le titre du livre est un jeu de mots sur le fait que l’usage de testostérone pour une personne transgenre est souvent appelé notre “deuxième puberté” dans la communauté, et qu’il y a beaucoup de curiosité de la part du grand public sur ce processus.»

«After T Shot» (2021)
C’est aujourd’hui que le long métrage LARRY (iel) de la réalisatrice Catherine Legault prend l’affiche dans plusieurs cinémas du Québec. Et c’est toi, Laurence Philomène, qui tiens la vedette de ce film empreint d’une grande sensibilité, qu’on pourrait même qualifier de «portrait lumineux et engagé», à l’instar de tes photographies! Dis-nous tout: de quelle façon vos chemins se sont-ils croisés, elle et toi, et comment as-tu réagi lorsque la cinéaste t’a proposé de t’offrir le «grand rôle», où tu te mets carrément à nu, au sens propre comme au figuré?
«J’ai rencontré Catherine au cours du tournage de son premier long métrage, Sœurs; rêve et variations, pour lequel j’avais pris des photos – incluant l’image qui est devenue l’affiche du film. Nous étions dans les mêmes cercles artistiques et elle a continué de suivre mon travail lorsque j’ai commencé à partager les images de mon projet Puberty sur Instagram en 2019.»
«Catherine m’a approché avec l’idée de documenter mon processus de création environ un an après le début de mon projet. Le tournage a finalement duré presque trois ans, au cours desquels nous avons pu apprendre à mieux nous connaître et à nous faire confiance. Aussi, puisque je suis habitué∙e à être autant devant que derrière la caméra dans le cadre de mon propre travail, j’avais déjà un niveau de confort avec la lentille ainsi qu’une direction artistique pour le genre d’œuvres que je voulais créer, que Catherine a su ensuite adapter pour le grand écran.»
«Je savais qu’avec ses connaissances dans le monde du film documentaire, elle allait être en mesure d’amplifier l’histoire que je racontais déjà par moi-même et de documenter les moments importants de ma vie, dont le lancement de mon livre et les vernissages de mes expositions solos au Fotografiska New York et à la Galerie C.O.A, par exemple.»

«Bathroom Self Portrait» (2020)
Lors d’une scène du film, tu confies: «le processus de ma découverte de moi-même consiste à désapprendre ce que la société nous a inculqué sur le genre, sur notre corps, sur toutes ces choses», une phrase forte qui résume en peu de mots le «combat» des personnes trans, encore de nos jours. Plus loin, tu ajoutes qu’au fond, tu veux apprécier ton corps à sa juste valeur et l’orner de la manière qui te semble la plus appropriée, en dehors des attentes liées aux genres. As-tu bon espoir que ce film va aider les spectateurs∙trices à mieux comprendre – et accepter – votre désir d’être bien et libre dans votre peau?
«J’espère bien que oui! Le but, autant du film que de mon livre, est vraiment d’humaniser les existences trans et non binaires; de se concentrer sur les choses qui nous rapprochent en tant qu’êtres humains plutôt que sur nos différences.»
«C’est un film qui donne un bon feeling quand on sort de la salle, et c’est aussi ce que je veux créer avec mes images hautes en couleur.»

«Bedroom Candles» (2020)
S’il y a bien une qualité qui te sied à merveille, c’est ta grande résilience, qu’on peut autant observer à travers tes photographies qu’à l’écran. En effet, alors qu’à certains moments de ta vie tes proches ont démontré certains signaux d’anxiété ou de peur à l’égard de ta transition – et de ton reflet dans le regard des autres –, toi, tu avances vers l’horizon, la tête haute, sûr∙e de toi. D’où tires-tu cette force de caractère qui te permet de créer, encore aujourd’hui, des portraits aussi lumineux, alors que la société n’a pas fini d’évoluer vers la lumière, elle?
«J’ai passé la majorité de mon enfance à apprendre à vivre avec plusieurs maladies chroniques qui ont engendré de nombreuses hospitalisations, ce qui m’a amené à apprécier la fragilité de la vie. Encore plus maintenant, alors que ma santé est stabilisée. J’apprécie les opportunités que m’offre chaque journée!»
La première du film Larry (iel) sera présentée à la Cinémathèque québécoise dès ce soir en présence de Catherine Legault et de Laurence Philomène. Par la suite, plusieurs ciné-rencontres en compagnie des artistes sont prévues, notamment le 5 avril au Cinéma Moderne, le 6 avril à la Cinémathèque québécoise et le 12 avril au Cinéma Public à Montréal, le 10 avril au Cinéma Beaumont à Québec, et le 13 avril au Cinéma Princess à Cowansville. De plus, il fera partie de la programmation du Festival cinéma du monde de Sherbrooke le 11 avril.
Deux expositions des autoportraits figurant dans le livre Puberty de Laurence Philomène auront également lieu à Montréal, une à la Cinémathèque québécoise et une autre au Cinéma Moderne. Vous aurez même la chance de participer à un concours pour gagner l’une des œuvres exposées! Pour ne rien manquer de ce petit chef-d’œuvre, suivez la page Facebook ou le compte Instagram du film. Bon cinéma! Pour découvrir nos précédentes chroniques «Dans la peau de…», visitez le labibleurbaine.com/nos-series/dans-la-peau-de.
*Cet article a été produit en collaboration avec Les Films du 3 Mars.
Le travail de Laurence Philomène en images
Par Laurence Philomène
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«Self Portrait With Flowers» (2022)
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«After T Shot» (2021)
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«Bathroom Self Portrait» (2020)
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«Bedroom Candles» (2020)
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«Bedside Table» (2019)
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«Morning Scene With Testosterone» (2019)
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«Pre-Raphaelite» (2019)
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«Purple Bath» (2020)
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«Sitting With Solitude» (2019)
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«T Shot With Vashti» (2019)
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«Vashti Napping» (2019)
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«Watermelon Snack» (2020)