Cinéma
Crédit photo : Andrew Eccles et Circle Films
D’abord, le duo fait absolument tout ensemble depuis le début. Écriture de scripts, réalisation et production, tout cela main dans la main et en une parfaite symbiose qui n’est pas sans rappeler ces champignons «lichénisés» poussant dans la lointaine toundra. Et ne vous fiez pas à ces mentions au générique indiquant que Joel fut le seul meneur de la barque jusqu’à la parution de The Ladykillers en 2004. Elles ne sont que le fruit de vaines formalités, la Director’s Guild of America possédant une clause selon laquelle deux individus ne peuvent partager le crédit pour la réalisation d’un film s’ils ne sont pas reconnus comme un duo en bonne et due forme. Enfin bref, quittons cette paperasse administrative et allons voir ce qui se tramait à Saint Louis Park durant les années 1960, lieu et époque où les frères grandirent.
Selon les dires de ces derniers, leur enfance serait dénuée de la moindre parcelle d’intérêt. Voilà qui règle la question. Ce sera plutôt à l’adolescence qu’un évènement décisif prendra place alors que Joel décide de se procurer une caméra Super 8 et de tourner des remakes avec Ethan, son cadet de trois années. On a un peu de mal à le croire, surtout lorsqu’on apprend que les cinéastes géniaux qui ont pondu les superbes Fargo, No Country for Old Men et Inside Llewyn Davis ont débuté leurs expérimentations en reproduisant certains des plus mauvais films qu’ils pouvaient dénicher à la télévision (Lumberjacks of the North et The Banana Film, pour ne nommer que deux de leurs efforts aux titres les plus évocateurs).
L’heure des choix de carrière arrive peu après. Joel entreprend des études en cinéma, où il dit n’avoir rien appris; Ethan, lui, ne sachant que faire de sa vie, se dirige vers la philosophie et la période de remise en question qui vient avec.
Au sortir de l’école, Joel fait la connaissance d’un jeune cinéaste inconnu à l’époque, Sam Raimi, en travaillant au montage pour The Evil Dead (un autre film-baptême digne de mention!) Afin de séduire de potentiels investisseurs, Raimi avait d’abord tourné pour moins de 2000 $ le court-métrage promotionnel Within the Woods, pièce de film désormais introuvable en qualité décente.
Trouvant l’idée pas bête du tout, les frères Coen reprennent la façon de faire de leur nouvel ami et produisent ensemble une fausse bande-annonce alléchante pour leur propre petit projet intitulé Blood Simple. Raimi se fera par ailleurs un plaisir de les épauler, leur partageant ses connaissances techniques, notamment quant à l’utilisation de la shakycam (élément innovateur utilisé durant le tournage de The Evil Dead). Une association qui s’étirera au-delà de ce seul film. En effet, les trois comparses cosigneront ensuite les scripts de Crimewave (1985, second film de Raimi) et The Hudsucker Proxy (1994). Le gage d’une belle amitié!
Revenons maintenant à Blood Simple. Le tour de passe-passe avec la bande-annonce a fonctionné. Le film est financé, distribué et sorti en salles, et il s’attire des éloges dithyrambiques, mais demeure certes un échec au box-office. Il devient un film culte et fait maintenant l’objet d’une modeste chronique. Qu’est-ce que ça raconte?
Julian (Dan Hedaya), patron d’un bar, soupçonne son épouse Abby (Frances McDormand) de le tromper avec un de ses barmans, Ray (John Getz). Il engage le détective privé Visser (M. Emmet Walsh) afin d’en avoir la certitude. Le cocu et l’amant se confrontent. Nouvelle mission pour notre détective: tuer le couple Abby-Ray. Jusque-là, ça reste simple.
Visser viendra compliquer la suite des choses. Il entre dans le domicile de Ray, vole le revolver d’Abby et photographie les amants pendant leur sommeil. Aucun meurtre. Visser trafique les photos, ajoutant des blessures par balles aux corps endormis. Content, Julian verse au détective filou une récompense de 10 000 $… avant de se faire refroidir par ce dernier, qui laisse sur place l’arme d’Abby afin de pointer les soupçons sur elle.
Or voilà, Julian n’est pas tout à fait mort; Ray croira qu’Abby a tué son mari, alors qu’Abby pensera exactement l’inverse. Visser, personnage imprévisible, n’aura pas dit lui non plus son dernier mot. Donc, si nous résumons ce chaos, nous avons affaire à un film noir rempli de rebondissements! Et ce n’était que la première demi-heure.
Intelligent, atmosphérique et glauque, Blood Simple marque l’excellent point de départ d’une brillante carrière et le début d’une «tradition» de films gravitant autour d’une arnaque ou de criminels. Essayez, pour voir, de trouver un titre dans la filmographie du «réalisateur à deux têtes» ne contenant aucune entourloupette ou revolver. Je vous mets au défi!
Malgré cela, on ne sait jamais vraiment trop à quoi s’attendre venant de la part de ces deux curieux personnages que sont les frères Coen. Leurs films, qui sont autant des hommages aux genres qu’une déconstruction en règle de ceux-ci, déjouent les attentes et offrent (généralement) aux cinéphiles avisés une petite douceur qu’ils ne seront pas prêts d’oublier. À cet effet, Blood Simple est autant un drame criminel, qu’une histoire d’horreur à l’humour grinçant.
«Je savais que ça finirait de même». «J’ai déjà vu ça avant». «C’est plate». Trois phrases que vous ne devriez pas entendre souvent lorsqu’il est question du travail d’Ethan et Joel Coen. Blood Simple ne fait pas exception à ce constat et je vous en recommande fortement l’écoute!
Mes coups de cœur par les frères Coen: «The Big Lebowski» (1998) et «True Grit» (2010).