«Inside Llewyn Davis» de Joel et Ethan Coen – Bible urbaine

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«Inside Llewyn Davis» de Joel et Ethan Coen

«Inside Llewyn Davis» de Joel et Ethan Coen

Sans fausses notes

Publié le 25 décembre 2013 par Jim Chartrand

Crédit photo : Métropole Films

Grand prix à Cannes cette année, les frères Coen, ces adeptes du 7e art, se reprennent en main en délaissant le chemin hésitant de True Grit pour l'assurance en faisant montre de leur plein talent avec le grandement maîtrisé Inside Llewyn Davis, qui prend l'affiche en ce jour de Noël.

Dieu merci, Oscar Isaac trouvera enfin la reconnaissance qu’il mérite. Celui qui se cache dans l’ombre des grandes productions depuis quelques années, en plus d’avoir poussé la chansonnette dans Sucker Punch, fait mieux que jamais l’étalage de ses nombreux talents dans son premier véritable rôle principal sous le regard confiant des frères Coen. Si ces derniers n’atteignent pas la maestria d’A Serious Man, film dont on n’est toujours pas sortis indemnes, ils parviennent ici à offrir une fable musicale d’époque qui réfléchit avec brio sur l’errance et la défaite, tout en faisant écho de façon sidérante à notre propre présent.

Bien sûr, les sujets sont particulièrement sombres et le ton mélancolique est teinté dans tous ses recoins de sous-entendus déprimants. Le film évoque entre autres le suicide, l’instabilité, l’échec, la pauvreté, la dépendance, l’avortement et la peur de l’engagement. Malgré tout, et c’est probablement la meilleure chose que nous offre l’humour juif, on rit énormément, parfois même à gorge déployée, d’un malheur qui autrement nous tuerait de détresse.

Avec des gags aussi inventifs visuellement qu’en dialogues, ou même en vivacité des gestes et réactions, les Coen permettent ici à leur distribution cinq étoiles de puiser vers des facettes moins explorées de leurs capacités. D’une Carey Mulligan parfaitement blasée, qui délaisse enfin la naïveté qu’on lui demande trop souvent d’interpréter, jusqu’à un Justin Timberlake qu’on efface judicieusement dans le décor, on ne peut passer sous silence l’énigmatique présence du charismatique Garrett Hedlund ou celle, surprenante, de deux acteurs de la télésérie Girls qu’on accueille à bras ouverts. En guise de cerise sur le sundae, celle mystique – pour ne pas dire mythique – du grand John Goodman, lequel est parfaitement dans son élément à contre-emploi pour les Coen, est reçu comme un véritable cadeau.

Produite pas l’indétrônable T Bone Burnett, la trame sonore est irréprochable et berce le long-métrage en toute délicatesse. En puisant dans un folklore traditionnel qu’on était prêt à oublier (frissons inévitables pendant «The Death of Queen Jane») et dans des créations originales qui frôlent le génie (ingénieuse, amusante et référentielle «Please Mr. Kennedy»), le film évoque un peu ce que le miraculeux documentaire Searching for Sugar Man cherchait à dénoncer l’an dernier. Après tout, le film brode en subtilité un regard sans complaisance sur l’industrie musicale. Sorte de contre-poids masculin au brillant Frances Ha de Noah Baumbach, tous deux unis dans l’errance et l’incertitude, Inside Llewyn Davis cultive l’imaginaire des laissés pour contre qui envahissent le 7e art pour leur donner la reconnaissance qu’ils méritent, mais qu’ils n’auront jamais.

Véritable hymne à l’entêtement et aux conséquences des mauvais choix, le long-métrage met de l’avant la nécessité de la survie au détriment de la réussite dans un appel à l’aide qui n’a de résonance que chez le spectateur. Dans des allures tristement condamnés, le film laisse, comme les Coen l’aiment bien, énormément de portes ouvertes et de sous-histoires irrésolues, ce qui ne plaira pas nécessairement à tous les publics.

N’empêche, ce choix, au diapason de la réalité, en plus de faire appel à une construction narrative en boucle (comme d’une blague qui finirait par son commencement), laisse constamment respirer le spectateur. Avec ses douloureux silences et sa sublime direction photo qui se retrouve dans des tonalités sombres et grisâtres, laissent toujours de judicieux jets de lumières percer la noirceur, puisque Inside Llewyn Davis n’oublie jamais l’essentiel: l’espoir.

Et dans cette force qui se cache toujours dans les chemins les plus insoupçonnés (comme dans ce symbole ingénieux du chat, métaphore obligé de l’errance, du confort et de l’hésitation; tout comme de la musique, ultime échappatoire), on ne peut qu’être béat d’admiration devant une oeuvre qui résonne en nous aussi férocement. Chapeau!

«Inside Llewyn Davis» prend l’affiche ce mercredi 25 décembre 2013.

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