LittératurePolars et romans policiers
Crédit photo : Cody Smith
«Pour les Aztèques, les papillons de nuit portaient malheur»
«D’après les Indiens Blackfeet, les papillons de nuit marron apportent le sommeil et les rêves» – Mary en conversation avec Jared
Le processus d’écriture de ce Sleeping Beauties aurait pu conduire vers une collaboration bien hasardeuse, mais il semblerait que tout au long des dix mois ayant été nécessaires à l’écriture de ce roman, le maître de l’horreur et son benjamin Owen King auraient eu bien du plaisir à s’envoyer les versions comme un joueur de tennis envoie la balle à son adversaire. Mais loin d’eux l’idée d’être en compétition! Owen King rédigeait une première ébauche, qu’il envoyait ensuite à son paternel, puis Stephen King reformulait à sa façon et renvoyait la nouvelle version à son fils, et ainsi de suite. C’est ainsi que père et fils ont abouti d’un roman de 828 pages qui se savoure aussi bien que Dreamcatcher ou Le dôme, avec une mise en bouche qui laisse le temps aux lecteurs d’apprivoiser les soixante-dix personnages (oui, vous avez bien lu!) de l’histoire, avec quelques-uns en plus si on compte le renard, le tigre blanc, les dizaines de colonies de rats de la prison de Dooling, ainsi que tous les phalènes qui peuplent l’histoire!
À l’instar d’un grand roman russe où déambulent dans un salon cossu une pléthore de gens, il n’est pas évident, ici aussi, de ressentir un réel sentiment d’attachement envers les personnages, surtout ceux plus secondaires – et il y en a des tonnes, vous l’aurez deviné – car il y en a tellement qu’on saute constamment d’une histoire parallèle à une autre, les King multipliant les trames narratives pour pimenter le suspense et dynamiser l’action. Et Dieu sait que c’est efficace malgré tout! D’ailleurs, une chance qu’ils ont réduit la version définitive du roman, aux dires d’Owen King, car s’il y a bien un épisode que j’ai trouvé longuet – et où ils auraient pu couper au hachoir bien grassement – c’est celui de la prison où j’avais l’impression de revivre l’enchaînement de la saison 3 et 4 de la série télé Walking Dead qui n’en finissait plus de finir elle non plus.
À cette exception près, Sleeping Beauties est un thriller efficace qui donne presque envie de voir un monde sans la sauvagerie des hommes et où chacun vivrait pacifiquement au bon déroulement de la société. Dur de ne pas saisir la morale cachée des King derrière ce tragique phénomène fantastique à l’échelle mondiale.
Et, avouons-le, juste le personnage d’Evie est fascinant en soi. Je n’ai nullement l’intention d’en dire trop et de vous dévoiler des spoilers, je vous laisse le plaisir le plus intact possible, mais gardez juste en tête que c’est celle qui semble être la cause de ce phénomène inexpliqué. En plus d’être particulièrement étrange, elle parle aux papillons de nuit, aux animaux, elle lévite même, et elle peut redonner le souffle de vie à une femme au bord du gouffre du sommeil. Sans oublier qu’elle peut assassiner sauvagement une personne si tel est son désir. Elle réside là la part d’horreur du roman: dans la sauvagerie de celles que, hélas!, certains malheureux et inconscients ont osé réveiller…
Attelez-vous, ce roman n’est pas toujours de tout repos. C’est une lecture de longue haleine, mais aussi une fable qui offre un certain clin d’œil au conte La belle au bois dormant (d’où la similarité avec le titre anglais Sleeping Beauty) sur la possibilité d’un monde meilleur, sans hommes, où les femmes vivent indépendamment, fièrement et dignement. Mais pourraient-elles se passer complètement des hommes? Là est la grande question.
«Sleeping Beauties» d’Owen et Stephen King», Éditions Albin Michel, 828 pages, 39,99 $.
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