ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Nicola-Frank Vachon
Tenancière pendant une quinzaine d’années de La Grande Hermine, un bar où les hommes approchaient les femmes de leur choix pour ensuite les amener ailleurs et recevoir certains services – ce n’est pas un bordel, rien ne se passe sur place! -, Madame Thérèse, devenue Mme Gisèle pour être certain de ne porter préjudice à personne même s’il s’agit d’un hommage, avait tout l’air d’être une bonne vivante, amatrice de chants et de musique, de jeux de cartes et de bonne compagnie. C’est du moins ce que met de l’avant cette toute première création de Maxime Beauregard-Martin, qui se met lui aussi en scène, afin de présenter le processus créatif du spectacle, ses rencontres avec la légendaire dame, ses éclairs de génie, mais aussi ses grandes angoisses quant à la pièce à livrer.
C’est qu’alors qu’il a une date de tombée parce que la date de présentation de sa pièce a déjà été confirmée, son auteur fait lire son texte par une amie comédienne, qui lui avoue trouver qu’il ne se passe pas assez de choses dans ce récit d’une vieille femme à la voix rauque qui fume des cigarettes en jaquette dans son lit en racontant sa vie. Son histoire n’est-elle pas assez fascinante pour intéresser les gens? Peut-être, mais pas assez captivante pour les yeux, présentée ainsi. Devrait-on ajouter des retours en arrière ou bien des numéros chantés, s’interroge le créateur? Surtout pas, lui conseille son amie, et sans doute bien des spectateurs aussi, intérieurement.
Pourtant, c’est bien ce que Maxime Beauregard-Martin fera, bien sournoisement, tout au long de sa pièce à l’aide d’un piano fort utile, afin de bien mettre en valeur le côté bon vivant, fidèle et généreux de sa Mme Gisèle. Grâce à une équipe de comédiens polyvalents et absolument talentueux (dont une Marie-Ginette Guay souvent méconnaissable, toujours investie, et un Patrick Ouellet habile caméléon) interprétant ici des clients ou des employés du bar, et là, des comédiens répétant les rôles que Beauregard-Martin leur a confié dans sa pièce – à l’intérieur de la pièce! –, c’est tout un pan de la vie de Mme Gisèle qui est présenté.
On la voit sous toutes ses coutures et dans toutes ses robes de chambre, cette Gisèle, mais aussi avec toute sa rigueur pour que sa business fonctionne et sa sensibilité envers «ses filles», qu’elle souhaite en sécurité, mais aussi honnêtes et droites. Surtout, on voit l’amour et l’affection sans limites que son entourage avait pour elle. Cette pièce, c’est en quelque sorte une grande déclaration d’amour pour Mme G.
Il s’agit d’une idée très efficace que d’avoir commencé la pièce avec un enregistrement vocal d’une vraie rencontre entre Maxime Beauregard-Martin et Thérèse Drago. Non seulement cela a-t-il permis de situer le personnage rapidement, mais ça a aussi contribué à l’aspect authentique de ce qui allait suivre. Pourtant, cela en a peut-être mis quelques-uns sur des fausses pistes, donnant des aspects de documentaire à cette pièce qui allait finalement magnifier un peu, beaucoup, passionnément l’histoire, selon les moments.
On a cru, bien sûr, à cette Gisèle sans filtre, comme ses cigarettes, et à son côté «fier-pet» pour la vie qu’elle a menée. On s’est aussi laissé porter par les tableaux prenant place dans La Grande Hermine ou dans le demi-sous-sol de Gisèle, tantôt faisant découvrir des employés touchants traités aux petits oignons par Gisèle, tantôt montrant une partie de cartes enflammée entre de bons clients réguliers, où la bonne humeur règne. Mais quand Beauregard-Martin n’arrive plus à contacter Mme Gisèle et qu’il tourne la pièce davantage vers lui, vers son obsession à terminer sa pièce et à rendre hommage à la dame, jusqu’à louer son appartement devenu vacant et à se mettre à vouloir vivre la vie de Gisèle, là, c’est trop. On n’y croit plus et on aurait préféré connaître davantage l’entourage de Mme Gisèle que l’auteur lui-même.
En même temps, il était astucieux de se mettre en scène lui-même, puisque de voir ses rencontres avec Gisèle nous a permis de la connaître plus intimement, et que les moments d’angoisse de Beauregard-Martin, présentés avec beaucoup d’humilité et d’autodérision, apportaient un humour certain à la pièce. Ces moments à deux étaient aussi ceux qui permettaient le plus de s’attacher à Mme G., et si la pièce se voulait un hommage, c’est tout à fait réussi, puisqu’à voir la réaction instantanée du public dès les lumières éteintes, tout le monde est tombé sous son charme, et on regrette de ne plus pouvoir la côtoyer.
Dynamique, vivante, drôle et touchante: la pièce ne nous a rien refusé et a tout vécu à fond, tout comme le personnage qu’elle mettait de l’avant.
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Par Nicola-Frank Vachon
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