CinémaCritiques de films
Crédit photo : Les Films Séville
Par la réflexion sur le cinéma que propose le film, et au fur et à mesure que la mise en abyme d’un film dans un film se dessine, on se demande inévitablement où se situe le réalisateur dans tout cela. Pas qu’on veuille le faire exprès, pas qu’on veuille bercer dans la psychologie facile, mais ça s’impose, tout simplement. Et c’est pour le mieux. Car il y a de la nuance, du recul, de l’ironie, de l’humour, de la douceur. En plus, il (Moretti) ne s’est pas donné le rôle principal, mais celui du frère. Nanni Moretti, qui a perdu sa propre mère en 2010, a donc teinté ce film de ce douloureux événement, sans tomber dans le mélodrame.
Ce qui accompagne le récit est plutôt un ton doux-amer; avec tantôt des souvenirs, tantôt des rêves (cauchemars?) et des scènes de la vie réelle, tout se mélange et on n’arrive pas à savoir précisément ce à quoi on assiste, et c’est loin d’être gênant. Ce sont au contraire les plus belles scènes, aux limites de l’onirique. Il faut voir celle où Margherita déambule lentement devant un cinéma où tout suggère qu’il y a une projection du si bien nommé Wings of Desire de Wenders (1987).
Elle suit la file de spectateurs qui longe la rue, l’air mélancolique, alors qu’elle croise sa Madre, son frère ainsi qu’elle-même, une vingtaine d’années plus tôt. Le tout sur l’air de «Famous Blue Raincoat» de Leonard Cohen. La symbolique et la puissance parlent d’elles-mêmes. La réalité de Margherita n’est pas celle de tout le monde, elle le dira souvent. D’ailleurs, elle cherche à partager avec ses acteurs cette vision, en leur demandant de voir le personnage, tout en montrant une partie d’eux-mêmes à l’écran. Une dualité qui l’habite, en somme.
Sans être une Nuit américaine (François Truffaut, 1973) à l’italienne, on remarque tout de même des similitudes, bien que Mia Madre, pour les raisons évoquées précédemment, diffère de par son ton, son traitement et l’aspect social que développe le film dans le film. Cet aspect reflète évidemment la société italienne des dernières années, celle prise au cœur d’une politique instable et d’une économie fragile.
Cette œuvre intimiste de Moretti propose une belle galerie de personnages, tous attachants. John Turturo est parfait dans le rôle d’un acteur américain qui est à côté de la plaque, que rachètent son charisme et sa sensibilité. À ce propos, cette dernière se fait particulièrement sentir lors d’une scène de tournage où Margherita lui raconte avec émotion ce qu’elle vit avec sa mère mourante; l’acteur est alors bouleversé par cet aveu, et se trouve fin prêt à livrer la scène à tourner. Une grande intelligence de la part de la réalisatrice, qui n’avait peut-être pas pensé créer cet effet. N’en demeure pas moins qu’il s’agit là de l’instinct du créateur, celui capable de communiquer aux acteurs ce qu’il attend d’eux. Un compliment qui, par ricochets, revient à Moretti.
La mère ici interprétée avec grâce par Giulia Lazzarini apporte au film le vécu nécessaire dont semblent avoir besoin tous les autres personnages. Ce que ses enfants découvriront sur elle sera la bouffée d’air frais qui empêche Mia Madre de tomber dans le pathos et la lourdeur. La portée universelle de ce drame intimiste saura toucher tout un chacun, car qui n’a jamais vu un proche mourant, ou qui n’a jamais pensé à ce moment qui viendra inévitablement?
À aller voir en version originale pour la beauté de la langue italienne.
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Par Les Films Séville
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