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Crédit photo : Polydor
Sa démarche minutieuse et méthodique, presque entièrement travaillée au piano chez lui à Londres, fait de lui l’un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus originaux actuellement. Minimaliste, mélancolique, parfois dansant, à mi-chemin entre dubstep glacial et musique soul séduisante, Blake sait créer de la pop intelligente et pertinente qui nous obsède dès la première écoute.
Le prolifique artiste fait paraître des mini-albums électroniques depuis 2009, où il a pu faire évoluer son style jusqu’à atteindre son nirvana personnel avec son troisième album The Color In Anything, où chaque élément de la vie se place dans un casse-tête cohérent, tant dans les paroles que la musique.
Beaucoup plus riche et varié que les deux albums précédents (qui étaient déjà excellents), l’œuvre est un savant collage de tout ce qui rend James Blake irrésistible. Le travail méthodique de l’artiste est ici plus éloquent que jamais. Le minimalisme mélancolique du passé est devenu un équilibre parfait. Guidé par l’éternelle thématique de l’amour déchu, Blake joue encore une fois avec sa voix, en la superposant par-dessus un autre enregistrement de son chant, cet effet élégant, utilisé à bon escient tout au long de l’album, donne à The Color in Anything un grand élan de virtuosité. Dès «Radio Silence», l’hypnotisante pièce d’ouverture, on ressent la complainte de l’amour perdu et lancinant qui guidera l’album.
Les productions sont plus abouties que jamais notamment grâce à l’apport du vétéran producteur Rick Rubin, qui s’efface complètement derrière les platines pour former un tout cohérent, en symbiose avec James Blake. Rubin, qui a parfois déçu dans les dernières années en empruntant la voie de la facilité, retrouve ici tout son talent d’arrangeur émérite.
Même si The Color In Anything est davantage mélancolique et conserve le magnétisme glacé et langoureux du premier album éponyme, il y a malgré tout plusieurs passages plus mordants, rappelant le mini-album CMYK, paru en 2010. Le morceau «Two Men Down» contraste avec le reste de la proposition par sa rythmique plus rapide et gaie. Les mélodies minimalistes, un brin dubstep, de «Points» ajoute de la richesse et de la variété à l’ensemble: «No longer her», répète Blake, évoquant le temps perdu et les amours changeants au fil du temps. «Timeless», l’une des pièces les plus convaincantes de la proposition, enchante par sa noirceur atmosphérique. Le tout se conclut par un superbe moment a cappela sur «Meet You In the Maze», où la voix torturée de Blake est transformée par un vocodeur: «I’ll meet you in the maze», lance l’interprète, perdu dans les méandres de ses sentiments.
L’ajout de Frank Ocean à l’écriture et de Justin Vernon (alias Bon Iver) à la voix démontre que l’artiste sait bien s’entourer. Nul besoin d’inviter une flopée de gros noms du moment, il suffit de collaborer avec les bons. «I Need a Forest Fire» est d’ailleurs un bijou vocal, où se rencontrent au sommet Blake et Vernon: le duo évoque la complexité des émotions humaines, qui soufflent comme un brasier dans la forêt. Le feu engendré détruit tout, mais permet au sol fertile de recréer la végétation. C’est cette idée de nouveau départ qui transcende l’album de long en large, tant dans la production que dans les textes.
Si le tout est un peu longuet (près de 80 minutes), on s’ennuie rarement, The Color in Anything a une grande richesse dans les textures employées, qui mènera à bien des écoutes. James Blake est le contraire même de la culture musicale moderne, où les albums sont un prétexte pour sortir des singles et faire des tournées. Son travail est toujours fait pour les bonnes raisons: déstabiliser, rassembler, faire pleurer ou sourire et surtout faire apprécier un univers unique, où chaque couleur trouve sa place.
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de la rédaction