ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Mélissa Michaud
Cette fois, c’est au fil des rues du Centre-Sud que leur inspiration les ont guidés afin de faire passer quelques existences discrètes de l’ombre à l’aventure de la scène, après l’écoute de mots simples et d’histoires intimes qui ne manquent en aucun cas de poésie. Le langage est d’ailleurs la matière première que le couple à choisi de mettre de l’avant.
Des témoignages spontanés d’Anaïs Barbeau-Lavalette, recueillis avec une délicatesse bienveillante, mais sans complaisance, ont été enregistrés et rapportés sur scène. Déjà, la qualité de l’échange et de l’accueil discret par lesquels Anaïs parvient à susciter l’échange est d’une grande beauté, sur le plan humain, mais aussi sur celui de la rigueur, qui serait digne de guider le travail de plusieurs chercheurs dans le domaine social.
Pourtant, les êtres interrogés nous entraînent bien au-delà de l’image des problématiques typiques associées aux environs de l’est de la rue Ontario: plusieurs d’entre eux ont trimé dur, mais cela ne les empêche pas de nous étonner, minute après minute, par les merveilles de leur destinée. Juste le fait que chacun d’eux ait accepté de venir physiquement sur scène jouer pour donner vie à leur histoire est, en soi, un petit miracle.
Et, si l’art de recueillir des témoignages existait déjà, la démarche pour les mettre en scène est propre à l’histoire du duo créateur. Ils ont expérimenté leur mode d’expression du réel lors d’une précédente création, nommée Vrais mondes, présentée à la Cinquième Salle de la Place des Arts, en 2014.
Chaque histoire est unique, mais cette seconde mouture a su bénéficier de l’assurance qu’il est possible d’éviter de passer par des acteurs professionnels ou de créer des formations de type «idoles instantanées» pour créer une réelle présence. Les «personnages-témoins» ne font que reprendre sur scène les gestes qu’ils connaissent bien, qui tissent leur routine, ce qui maintient un contraste troublant entre la banalité quotidienne et leur fascinante destinée.
L’enjeu ne tourne donc pas ici autour d’une mise en scène hautement chorégraphiée. Et les jeux d’ombre, pesant lourdement sur la scène, font que l’on ne saisit pas tous les détails gestuels. Cependant, il ne s’agit pas là d’un renoncement à l’esthétique. Le naturel de l’expression physique, la recréation de l’univers de certains artisans et même l’immobilité de certains personnages durant des passages plus dramatiques, vient rejoindre le public droit au cœur.
D’ailleurs devant l’étonnante spontanéité des citoyens sur scène, les malaises se font parfois davantage sentir sur les bancs du public. Le drame, on sait comment le prendre, mais comment réagir lorsque l’étonnement, ou plutôt les multiples étonnements, font jaillir de nous des éclats de rire? Nous sommes alors frappés par la résilience de ces gens qui semblent avoir appris à affronter des résistances beaucoup plus lourdes qu’un simple gazouillis de rire, lorsque leurs secrets remontent à la surface.
Une œuvre révélant profondément ce que la tendresse envers l’humanité peut apporter à l’art.
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de la rédaction