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Crédit photo : Site officiel du Théâtre Prospero
C’est en 2013 que l’adaptation québécoise connaît ses premiers balbutiements dans une présentation au Théâtre Premier Acte à Québec. Suite au succès rencontré, Marie-Hélène Gendreau récidive autour d’une nouvelle production à La Bordée en 2015, et c’est cette version qui s’exporte aujourd’hui au-delà des frontières de la «Vieille-Capitale».
Servi par d’irrésistibles monologues de l’extravagante adaptation d’Harry Gibson, l’honneur revient à Lucien Ratio de jouer le personnage de Mark Renton, icône d’une jeunesse écossaise des années 90 en perdition. Présent depuis le début de cette incursion infernale dans le quotidien de ces jeunes de la banlieue d’Édimbourg, l’acteur québécois a vu comme une aubaine son intégration à l’équipe, composée par ailleurs de Charles-Étienne Beaune, Claude Breton Potvin, Jean-Pierre Cloutier et plus récemment Martin Boily.
«C’était un cadeau! Quand on m’a appelé, je n’y croyais pas, et je ne savais même pas qui j’allais jouer». Heureux hasard, c’est bien le rôle du chef de fil de ces éclopés, drogués jusqu’à la moelle, que Lucien se voit confié. Depuis la première version en 2013, il s’estime toujours chanceux, et se dit aujourd’hui nettement «plus proche de l’essence de son personnage, plus proche du type; c’est devenu un ami». Marqué par l’oeuvre dans sa jeunesse, Lucien Ratio n’a pourtant jamais revu le film ou relu le roman. «Je me suis contenté du texte de l’adaptation et ça m’a suffi pour avoir beaucoup d’empathie avec le personnage, de compassion. Je recherche à me reconnaître à travers Mark.»
À l’origine, pour lui: «prendre de la drogue avait l’air cool, mais avec la pièce, je me rends compte à quel point c’est rough». Quand on a en mémoire les descriptions de Welsh de ce monde gravitant autour de la dope, ou les images sordides et addictives offerte par Boyle, on le rejoint tout à fait. Cette virée mythique et drolatique dresse une fresque lucide de cette jeune Écosse qui se hasarde dans la débauche dont on s’étonne de s’éprendre de ces gars en pleine dérive.
L’acteur se déclare d’ailleurs proche de la nation au chardon, lui qui a joué Macbeth en 2015 au Théâtre du Trident. «Il y a quelque chose qui me fascine avec l’Écosse, il existe une certaine filiation. On est lié par l’histoire.» L’intégration du joual dans la version québécoise accentue ce sentiment: «Ça nous rapproche de notre réalité, on se reconnaît encore plus, on pourrait sortir dans la rue et tomber sur des gars comme ça». Ratio revendique d’ailleurs les échos contemporains et l’impact transgénérationnel de l’oeuvre. «Depuis 2 ou 3 ans au Québec, la jeunesse est en mouvance; elle veut prendre les rênes. Il y a une certaine révolte, une volonté d’exister, de donner de la voix».
La pièce peut apparaître alors comme le porte-voix d’une frange de la jeunesse québécoise, qui se reconnaît dans cette question identitaire; l’oeuvre s’intègre admirablement au contexte postcolonial québécois. À l’instar de Sur la route de Jack Kerouac, Trainspotting apparaît comme le manifeste d’une jeunesse qui a dès lors dépassé les frontières de l’Écosse. «On a d’ailleurs rencontré des toxicomanes, et plusieurs sont venus voir la pièce qui avait eu une grande influence sur eux.» Certains ont d’ailleurs, depuis, rapporté leur récit et se confortent dans l’idée que le théâtre peut se rendre plus accessible, démocratique et populaire.
Le récit mythique de Welsh, témoignage poignant de cette jeunesse un peu paumée, trouve son écho encore aujourd’hui et même passées les portes du Théâtre Prospero pour cette coproduction entre Projet Un et le Théâtre 1ère Avenue, en collaboration avec le Théâtre de la Bordée. La pièce se révèle d’ores et déjà digne d’intérêt alors que vient de paraître au Éditions du Diable Vauvert la traduction de Shagboys, le préquel de Trainspotting et que se profile à l’horizon de 2017 une suite cinématographique par nul autre que Danny Boyle.