ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Ulysse Del Drago
Debout devant trois fauteuils qu’elles n’utiliseront pas, les trois actrices Kathleen Fortin, Geneviève Schmidt et Julie Le Breton exposent au public, auquel elles font face, la genèse du projet. Elles y entremêlent leurs impressions personnelles, leurs premières (et deuxièmes) réactions à ce que les autres apportent, particulièrement le metteur en scène Mani Soleymanlou et l’auteure Fanny Britt. Comme toujours dans le fil de la pensée, leurs réflexions bifurquent et se nourrissent de leurs propres préoccupations, de leur propre réalité, chacune dans sa vision de leur petit monde.
Contrastes et clichés
Puis, survient le moment du cinq à sept, où la conversation prend davantage forme, bien que le jeu demeure frontal. Véritable ping-pong verbal et technique, la performance met en valeur tant le naturel et la justesse des trois comédiennes que le sens du rythme de Fanny Britt et de Mani Soleymanlou. Alternant entre la discussion enlevée et le soliloque brutal, entre la danse exutoire et la chape de plomb, le flux abordera toutes les questions qui sont dans l’air du temps: le jugement (le sien et celui des autres), l’obsession de la minceur, le vieillissement, la baise et le viol, la maternité et l’oubli de soi. La vie, à laquelle on cherche en vain à donner un sens. À défaut, l’alcool aidant, on arrive en tout cas à donner beaucoup de sens au vieux tube «Cœur de loup».
On se fiche de rien
Fanny Britt est une auteure à qui tout, ou presque, réussit. Ce n’est pas un hasard ni de la chance, c’est simplement qu’elle sait trouver le ton juste en restant elle-même, même dans la fiction. Surtout dans la fiction, aurait-on envie de dire. On a un peu l’impression que ce projet n’était pas le sien et que l’exploration des thématiques féminines dans une forme assez peu théâtrale, somme toute, a rapidement atteint sa limite. L’apport des comédiennes au texte, par le truchement des entrevues préliminaires, s’il constitue un atout pour la vérité de la performance, semble avoir restreint la parole de la dramaturge, dont on cherche le point de vue.
De ce texte, on retiendra surtout l’aveu tardif mais bien senti «c’est pas vrai que j’m’en fiche, j’me fiche de rien», qui résume parfaitement le grand décalage, le fossé séparant le discours de lâcher prise exprimé en public et le discours intérieur fragile, troublé et anxieux. De ce Cinq à sept, on retiendra surtout le tonus et la vigueur sans faille des interprètes, qui ne versent ni dans le cynisme ni dans le mélodrame.
Cinq à sept, de Fanny Britt, mise en scène de Mani Soleymanlou, est présenté à ESPACE GO jusqu’au 10 décembre 2015.
L'événement en photos
Par Ulysse Del Drago
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de la rédaction